Qu’on le vomisse ou qu’il nous ravisse, voilà un écrivain de renom dont les interventions, même répétées, laissent rarement indifférent.
Voilà un écrivain qui vend des livres, qu’on lit, qui dérange ou éclaire, quelqu’un qu’on déteste ou qu’on admire, qu’on écoute, qui peut dire ou écrire, avec ou sans raison, que « l’islam, c’est quand même la religion la plus con », et en rajouter en précisant que la chose semble même une évidence, qui dit pire encore de l’Occident, qui soutient que les féministes sont « d’aimables connes, inoffensives dans leur principe », qui raille les niaiseries de Bourdieu et de Baudrillard, et qui défend la poésie contre le roman, parce que la supériorité de la poésie lui semble également une évidence absolue. Sans qu’on arrive à décider s’il nous niaise ou s’il est sérieux, le même Michel Houellebecq annonce : « le président Trump me paraît un des meilleurs présidents qu’ait connus l’Amérique ». Mais qu’est-ce qu’il en sait ? Houellebecq peut bien, comme chacun, écrire un peu n’importe quoi.
Voilà un écrivain de talent et populaire, dont le succès est tel qu’on publie de lui un bouquin comme ces Interventions 2020, ramassis (un mot plus politiquement correct existe certainement, mais Houellebecq et Flammarion ne m’en voudront sans doute pas…) d’articles, d’entretiens, de préfaces et de textes de circonstance parus ailleurs, une, deux et jusqu’à trois fois dans certains cas, et qui se lisent ou se relisent avec un certain plaisir mortifère, parce que c’est Houellebecq et qu’il n’a pas toujours tort quand il profère une boutade vinaigrée dont il a le secret. L’écrivain parle ici de religion, de ses lectures et d’écriture, de son travail et des écrivains qu’il aime, il parle politique, sexualité, société, science, il aborde de bonnes questions pour l’heure de l’apéro.
Parfois Houellebecq convainc, quand il s’explique sur Structure du langage poétique de Jean Cohen, au moment de la réédition du Haut langage, du même, en 1995. Parfois pas. D’une occasionnelle mauvaise foi, des fois brillant, souvent lucide, drôle de temps à autre, il a cette drôlerie qui remonte comme la crème sur un lait d’horreurs, d’insignifiances et de bêtises, je veux dire : sur notre monde. Houellebecq nous le réapprend, les bons écrivains, les vrais bons écrivains n’ont pas à être particulièrement intelligents ni particulièrement sensibles. Ils ont seulement à laisser supposer qu’ils le sont, à écrire intelligemment, à nous donner le sentiment d’une sensibilité à vif – ce qui est tout l’art d’écrire, et la principale chose qu’on demande aux livres aimés. Houellebecq sait également nous mettre mal à l’aise, ce qui est aussi un des buts de l’art d’écrire, comme de l’art tout court.
Cet admirable écrivain nous a donné Les particules élémentaires, un des rares livres que je relirais avec bonheur s’il n’était pas si déprimant et si lucide dans son jugement sur notre époque. Un grand roman de son temps. Parce que dans ses Interventions, qui reculent jusqu’en 1992, Houellebecq est de son temps, comme l’étaient Sartre, Céline et Camus, pour donner une idée de l’envergure du romancier comme personnage public, tel du moins que je le conçois.
Tout ça ou presque nous est offert à travers la manière Houellebecq, aisément reconnaissable et qui me touche. On lira le récit de la réception d’un prix littéraire, « Je suis normal. Écrivain normal ». Ou le très beau « J’ai lu toute ma vie », hommage à la lecture à l’occasion des cinquante ans des éditions J’ai lu : « J’étais un enfant. J’étais heureux, et le bonheur laisse peu de traces ». On lira enfin un propos de mai 2020 sur nos choix futurs, télétravail, réseaux sociaux et autres ‘innovations’ : conséquences ou objectifs ? se demande Houellebecq. « L’épidémie de coronavirus offre une magnifique raison d’être à cette tendance lourde : une certaine obsolescence qui semble frapper les relations humaines. […] Nous ne nous réveillerons pas, après le confinement, dans un nouveau monde : ce sera le même, en un peu pire. »
Houellebecq dérange et il émeut. Je me répète ? C’est aussi ce que font ces Interventions 2020, qu’on aime ou pas.