Les voyages que propose Alison Lurie périodiquement à travers la littérature destinée aux jeunes sont de ceux qu’il faut absolument effectuer à sa suite. Avec un goût très sûr, cette professeure de Cornell et chroniqueuse régulière du New York Review of Booksprésente et analyse tantôt des classiques comme Pinocchio ou Le magicien d’Oz tantôt des œuvres récentes comme Harry Potter. Comme, en plus, elle s’exprime sans la moindre concession à la langue de bois, on saisit vite à quelle enseigne elle loge. D’après elle, le Pinocchio de Walt Disney ne ressemble guère au personnage original de la littérature italienne et c’est dommage. Dans le cas d’Andersen, c’est autre chose : nombre de ses contes sont si sombres qu’on ne doit pas trop se surprendre si les diverses éditions en laissent plusieurs sur la touche. « Aujourd’hui, écrit-elle de façon plus générale, de nombreux écrivains ont l’impression qu’ils doivent rivaliser avec les horreurs vues à la télévision. » Verdicts clairs et fondés.
Même si on la considère comme plus versée en littérature de langue anglaise, Alison Lurie ignore bien peu de choses des autres cultures. Le Troll finlandais ne lui échappe pas ni Babar version française ni les audaces de Salman Rushdie. Il en va de même des divers genres littéraires et de tout ce qui accompagne le livre dans l’univers enfantin. Grâce à elle, la poésie destinée aux jeunes obtient donc son dû, de même que les illustrations et les jeux.
Le tour de force que réussit Alison Lurie fait comprendre à quel point le livre aide l’enfant à explorer son monde à lui et à s’y construire une première autonomie et des repères qui dureront éternellement. Elle est demeurée assez proche de l’enfance pour savoir et affirmer que, non, il ne faut pas tout dire aux grandes personnes. Pas étonnant, dès lors, qu’elle privilégie une certaine catégorie d’auteurs : ceux qui, comme les enfants, « sont impulsifs, rêveurs, imaginatifs et imprévisibles ». Ou ceux qui gardent fidèlement les secrets.