Ce ne sont pas à proprement parler les débuts du réalisateur de Reservoir Dogs à titre d’écrivain. Les scénarios de ses films ont souvent fait l’objet de publications. Or, ici, le cinéaste réputé pour sa stylisation de l’extrême violence signe un premier roman qui est davantage qu’une novélisation de son neuvième film. Il s’agit en effet d’une savante satire des coulisses du cinéma.
La fiction se mêle à la réalité dans cette évocation d’Hollywood dans les années 1950 et 1960. On y suit le duo formé par l’acteur Rick Dalton et sa doublure cascade Cliff Booth, respectivement interprétés par Leonardo DiCaprio et Brad Pitt dans le film de 2019. Au début du roman, dont l’action se déroule principalement en 1969 – dans les mois précédant le sordide assassinat de Sharon Tate par le groupe de Charles Manson –, Dalton rencontre l’agent Marvin Schwarz, qui tente de le convaincre de jouer dans des westerns-spaghettis à la place de Steve McQueen. Dalton, habitué aux premiers rôles, n’est pas très chaud à l’idée d’incarner un méchant. En acceptant de participer au tournage du « pilote » de la série Lancer, il consent à laisser son image se subvertir. Caleb DeCoteau, le rôle qu’on lui assigne, est un truand à la dégaine de Hells Angels. Mais comme dans le film, l’histoire de Booth éclipse rapidement celle de Dalton. Si plusieurs scènes clés sont reprises dans le roman, dont la mémorable raclée que Booth inflige à Bruce Lee, Tarantino ajoute de nombreuses informations nouvelles sur le personnage. On découvre ainsi son sombre passé. Booth a tué au couteau seize Japonais durant la guerre. Il a aussi commis trois meurtres en toute impunité, dont celui, atroce, de sa femme (il l’a « accidentellement » coupée en deux avec un fusil à harpon pour requins).
Tout l’univers de Tarantino est ici transposé. L’œuvre est violente, fétichiste (Tarantino est fasciné par les pieds crasseux) et teintée d’une incompréhensible misogynie. L’intrigue est moins stylisée chez le romancier que chez le cinéaste, mais de nombreuses anecdotes sur le cinéma viennent la pimenter. On regrettera toutefois le côté franchouillard de la traduction. On imagine mal Tarantino employer des expressions comme « se mettre la rate au court-bouillon », « refiler le flouze au proxo », « s’en taper le coquillard », ou faire dire à Charlie Manson : « Punaise, flûte, mince alors ! »