La question identitaire fait couler beaucoup d’encre. Le plus souvent, là où le questionnement devrait primer, les assertions sans véritables assises pullulent.
Il en va tout autrement de ce court essai autobiographique, Identité nomade, que vient de faire paraître J. M. G. Le Clézio, prix Nobel de littérature, rappelons-le. Après avoir maintes fois prêté sa voix aux indésirables et aux invisibles, à tous ces êtres à qui on reproche au fond de ne pas être à notre image, Le Clézio s’interroge cette fois sur son propre parcours, sur ce qui constitue son identité nomade, privilégiant l’errance, la pluralité, à l’enracinement, à l’unicité.
« Dès la naissance, j’étais double », écrit Le Clézio. Né à Nice durant la Seconde Guerre mondiale, d’une mère française et d’un père mauricien, il dit à ce sujet que « les enfants nés dans une guerre sont particulièrement attentifs au malheur et à la difficulté de la vie ». Il passera la plus grande partie de la guerre en France avant que sa famille rejoigne son père en Afrique, ce dernier ayant été mobilisé à titre de médecin de l’armée coloniale britannique. Le Clézio, qui maîtrise déjà deux langues – le français et l’anglais – par son père, découvre alors un nouveau continent, une terre qui n’a pas été ravagée par les bombardements et qui lui apparaît dans toute sa richesse, et il s’ouvre naturellement à une troisième langue : la langue ibo, l’une des langues officielles du Nigeria. Il voit dans la diversité qui s’offre à lui davantage une richesse qu’une menace identitaire. Cette seconde enfance est aussitôt exaltante : « J’ai en moi cette profonde reconnaissance que l’Afrique m’a donné la joie de vivre quand j’avais huit ans, alors que je venais d’un pays détruit ».
Cette dualité, parentale et continentale, a nourri l’écrivain depuis son tout premier roman, Le procès-verbal, publié en 1963. Certaines de ses œuvres sont marquées par le goût de l’aventure, mais son véritable engagement à titre d’auteur sera de donner une voix aux déshérités, aux démunis, à commencer par les enfants et les personnes âgées qui, faut-il le rappeler, sont souvent les premières victimes des conflits armés. Ce qui amène aujourd’hui l’écrivain à s’interroger sur ce que peut la littérature. Est-elle un art parfaitement inutile, comme le prétendait Oscar Wilde ? Le Clézio inverse ici la proposition : est-il utile qu’elle soit parfaite ? Il préfère s’attarder sur le rôle que peut jouer l’écrivain dans la société en combattant les injustices et en les dénonçant. Cette façon de voir les choses est-elle utopique ? Peut-être, l’admet-il, avant de rappeler que « [s]’il n’y a pas la culture, c’est la violence des armes qui parle ».
Dans ce court essai, Le Clézio consacre également quelques pages à la question de la littérature formaliste. Si elle a pu se révéler une illusion, écrit-il, elle aura néanmoins ouvert la voie à des plongées dans le monde intérieur, libérant ainsi la littérature de ce qu’il nomme « les sollicitations extérieures ». Mais, en définitive, ce qui compte le plus à ses yeux, si la littérature a une utilité, c’est que notre regard sur le monde change, nous force à voir les injustices que nous nous efforçons le plus souvent d’ignorer, puis à tenter de les corriger.
Revenant à la question première de cet essai, écrit sans artifice, Le Clézio de conclure : « [L]a littérature est avant tout un art du mélange, du métissage ». Il n’est pas vain de le répéter.