Il y a des auteurs comme Jean-Paul Dubois (Une vie française, L’Olivier, prix Femina, 2004) qui, en faisant appel aux mêmes trois ou quatre noms et prénoms, à deux ou trois lieux différents, sans effets spéciaux ni vulgarité ni provocation pornographique, réussissent à séduire, à intéresser et, surtout, à surprendre. À preuve, Hommes entre eux qui, non seulement considère le lecteur intelligent, mais – Ô sacrilège ! – le force à s’interroger à la fin du roman. Sacrilège, vous dis-je !
Il ne s’agit pas d’un roman dont l’écriture reposerait sur une recherche de nouveauté esthético-littéraire qui nous laisserait sur notre faim. Il s’agit plutôt d’une simple histoire d’hommes. De deux hommes. Paul, qui habite Toulouse et se meurt lentement, et Floyd, qui habite North Bay (Ontario) et vit en ermite dans une nature exsudant une saine virilité. Une femme disparue, Anna, qui les a quittés tous les deux, est l’unique pont entre ces deux hommes. Paul, malgré – ou peut-être à cause de – sa maladie, quitte le sud de la France pour le Nord ontarien à la recherche d’Anna. C’est une quête bien peu planifiée qui tient plus d’un réalisme suicidaire que d’un réel espoir de retrouver l’objet de sa recherche. Paul, faible et frêle, débarque sur le territoire de Floyd en plein blizzard. Une tempête de neige, une vraie, qui s’étire sur plusieurs jours. Une tempête comme dans les souvenirs d’enfance. Une vraie belle tempête, à la visibilité nulle, qui créera un huis clos tout à fait exceptionnel entre ces deux hommes. Plus la tempête fait rage, plus le mystère s’épaissit et le retour du beau temps n’en dissipera guère les brumes au contraire !
Rares sont les récents ouvrages de fiction qui ont tissé, avec un tel brio, des liens affectifs aussi intenses, aussi inattendus (évoquant, parfois, l’atmosphère de Blue Velvet du cinéaste David Lynch). Enfin, l’intérêt n’est pas dans l’étrangeté ni la bizarrerie, mais bien dans le travail de chirurgien accompli par Dubois qui, Dieu merci, n’explique pas tout.