Le mot herbier fait immédiatement penser à la grande poète américaine Emily Dickinson ! Adolescente, elle prenait le temps de cueillir plantes et fleurs, et de les déposer dans un grand cahier. Sans le savoir, elle couchait sur le papier ses premiers poèmes.
Elle savait lire les fleurs fragiles, vouées à la disparition. Mais, sauvegardées amoureusement et avec attention dans un livre, elles sont arrivées jusqu’à nous. En effet, presque deux siècles plus tard, on peut consulter son herbier sur le site Web de la Bibliothèque de l’Université Harvard. Aujourd’hui, les fleurs et les plantes d’Emily nous attendent donc toujours.
La jeune Emily connaissait le geste du poète qui est de protéger et d’éterniser un instant de pure présence au monde.
Le mot herbier rappelle aussi cette phrase du poète Gustave Roud, évoquant une rencontre avec René Auberjonois qui cherchait à peindre quelques fleurs : « [N]ous vîmes littéralement ce bouquet passer d’un univers dans l’autre, commencer déjà l’échange d’une brève existence de fleur contre une sorte de vie éternelle ».
Cette « sorte de vie éternelle », Édith Pineault nous la fait entrevoir dans son recueil Herbier, publié dans la collection « Nature Writing » de L’Index. Lauréate en 2020 d’une mention (2e prix) au prix Piché de poésie de l’Université du Québec à Trois-Rivières, remis dans le cadre du Festival international de la poésie de Trois-Rivières, Édith Pineault nous offre une sorte de manuel de botanique où elle note, avec émerveillement, le poème de nombreuses espèces végétales : arbres, herbes, plantes carnivores, aquatiques, toxiques ou médicinales, mousses et algues.
C’est avec délicatesse qu’il faut tourner les pages de cet herbier de paroles. En prenant le temps de s’attarder, on apprend lentement à lire le règne végétal.
Et puis ça se met à parler, un monde se lève au détour d’un vers. On lit dans le poème liminaire : « si possible / attendre / il viendra l’élément ». Tout à coup s’avance « l’écho d’un arbre / sur ton mur / écrit des mouvements de brique / que je récite ». S’adressant au chêne : « tu entretiens les écureuils / leurs cœurs engrangeant le cœur ». Évoquant les racines, la poète écrit : « Les arbres ignorent / combien leur immobilité me transperce ».
À propos des herbes sauvages, Pineault parle des « envahissantes pensées indéchiffrables / méprisant l’encadrement ». Elle ajoute : « comment nommer vos tribus / ou voir vos friches / massifs de beauté réclamant territoire ».
Plus loin, on entend « le commérage des bégonias / ces tales trop fardées / porte-paniers hautains / presque plastique / qui médisent sur nous ». On aperçoit « l’incendie / ces menus tisons dissimulés / du fraisier ». Et voilà que la sarracénie, la si belle plante carnivore de nos marécages, « espère du ciel son pain » et « dans ses vases / vie et mort reposent / noyées ». On fait la connaissance de la brasénie et de son « œil bouton cousu sur l’eau ». Et puis apparaît la célèbre quenouille aux « pieds mouillés » et à la « mémoire pelucheuse » qui « embroche la sublime saveur des feux de camp ».
Enfin, il faut souligner le très beau travail graphique, mais aussi les très nombreuses illustrations qui accompagnent les textes. Elles ont été créées par l’artiste Alexandre Blouin et sont apparues pour la première fois dans la Flore laurentienne du frère Marie-Victorin en 1935.