Le patron des écuries de Griffintown est retrouvé assassiné. Tout porte à croire que le meurtre a été commandité par un mafieux ayant l’ambition de réaménager le village fantôme en complexe immobilier huppé. Or l’intérêt pour ce crime est vite relégué à l’arrière-plan. La prémisse, sordide, sert plutôt de prétexte à une étude de mœurs bien plus convaincante sur les cochers urbains.
Marie Hélène Poitras se met donc plus efficacement au service d’une intention presque documentaire : nous faire découvrir un milieu peu connu que l’auteure a eu le temps de fréquenter. Autant qu’au jargon ou aux usages des écuries, on est initié à la dynamique conflictuelle d’une véritable microsociété marginale. Sans aller jusqu’à affirmer que Griffintown est au cheval ce que Moby Dick fut à la baleine, on retrouve un enthousiasme similaire dans cet intérêt sincère pour le milieu des cochers et des chevaux de ville. Sans doute Melville était-il habité par cette ferveur dans ses explorations de l’univers des baleiniers et des mammifères marins.
L’écriture capture, sensuelle, les odeurs de cuir et de fer rouillé. On sent à chaque page la matière, l’organique : écuries nauséabondes, foin, crottin, abreuvoirs négligés. Bien que l’on sente sur le plan formel le caractère machiste de cette faune pittoresque grâce à une langue qui se veut âpre et rugueuse, la sensibilité affleure constamment, surtout quand est évoquée la noblesse de l’animal, pour lequel on sent plus d’affection de la part de l’auteure que pour l’humain lui-même. Marie Hélène Poitras peut prendre tout le temps qu’elle veut pour nous présenter une galerie de personnages abîmés hauts en couleur, celui qui est le plus animé, encore plus que Marie ou ce John à la figure bienveillante, le seul qui soit véritablement investi d’une âme est sans contredit le cheval, traité ici avec respect, considération et beaucoup de tendresse.
Griffintown reproduit les codes du western, quitte à en revisiter les clichés les plus frappants. Dans la description d’un monde de délabrement et d’usure, on sent la marque d’un Cormac McCarthy. Comme lui, Marie-Hélène Poitras affectionne ces personnages qui évoluent dans un milieu rude où l’on ne se fait pas de quartier. De cette atmosphère typique des westerns découle un traitement distant, malgré les drames importants qui se jouent dans ce far-west urbain.