Ce tandem offre une belle complémentarité de compétences. L’un des auteurs est professeur émérite de finance au palier universitaire, tandis que l’autre mène depuis des lunes une carrière de pénétrant journaliste d’enquête. À eux deux, ils démolissent nombre de mensonges au sujet des conflits modernes. Derrière le verbeux « devoir d’ingérence », ils débusquent les appétits coloniaux de l’hémisphère Nord. À travers la « responsabilité de protéger », ils lisent l’impériale volonté de dominer. Seul le Nord a le devoir d’intervenir et il ne s’acquitte de ce devoir que lorsque ses intérêts l’y invitent.
Pour mieux démasquer les objectifs réels des interventions militaires, les auteurs y vont d’exemples concrets. En Libye, les gentils protecteurs ont « collectivement offert aux puissances de l’OTAN alliées des États-Unis la possibilité de déclencher une guerre qui n’a jamais eu d’autre objectif que le renversement du gouvernement légitime d’un membre souverain des Nations Unies ». Pourquoi la Libye et pas l’Irak ? Parce que, selon le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Luis Moreno-Ocampo, les exactions commises par les Américains en Irak « ne semblent pas avoir jamais atteint le seuil de gravité du Statut ». Pourtant, soulignent Herman et Peterson, les chiffres disent le contraire. Pourquoi tant de références au génocide dans tel décor et si peu dans un autre ? « […] le terme de ‘génocide’ fut utilisé 90 fois plus fréquemment dans la presse pour décrire l’attitude de Khartoum au Darfour (soit à l’intérieur des frontières du Soudan) que pour décrire celle des États-Unis en Irak, pays souverain annexé par la force au moyen d’une guerre d’agression qui fit trois fois plus de morts ». Pourquoi aucune « responsabilité de protéger » lors des massacres de Sabra et de Shatila sous l’œil sec d’Israël ? Pourquoi tant de références au génocide perpétré contre les Tutsis alors que les victimes sont plutôt les Hutus ? Pourquoi les tribunaux internationaux, après des années d’enquêtes, n’ont-ils encore condamné que des Africains et même pas les pires coupables de ce continent ? Serait-ce que les protecteurs contrôlent aussi la propagande ? Le plus scandaleux constat, c’est probablement celui-ci : le crime suprême, qui est celui d’agression, n’est pas défini ! Kofi Annan l’a reconnu, la CPI n’exercera sa compétence à l’égard du crime d’agression que si une disposition est adoptée qui définit ce crime. « Depuis, aucune définition n’a vu le jour. » Et même si une définition venait à surgir, les pays qui ne reconnaissent pas la CPI ne pourraient pas être accusés d’agression. Comme les protecteurs tiennent à ce que l’agression soit perçue comme un secours désintéressé, le crime n’est pas défini. On peut donc le commettre à volonté.