Fernand Dumont ne se propose pas dans Genèse de la société québécoise d’indiquer les repères objectifs — institutions, langues, droits, frontières — qui délimitent la société québécoise à son origine, mais bien de tracer les contours de ce qu’il appelle la « référence » de la société et qui se constitue dans les idéologies, l’historiographie et la littérature. Ce livre n’est donc pas une histoire du Québec et c’est la genèse d’un imaginaire collectif qu’il met au jour. Cet imaginaire n’est pas, pour Fernand Dumont, une donnée seconde par rapport à une société qui serait plus réelle, qui serait plus objective. Comme il le rappelle « l’idéologie, l’historiographie et la littérature ne reflètent pas la société globale, elles forment une société imaginaire parallèle à l’autre ». Cet imaginaire peut donc être considéré comme une matière première dans la mesure où il constitue l’unité de la société et ce qui la crée comme une entité que ses membres peuvent percevoir. De la collectivité québécoise, Fernand Dumont précisera, parlant de sa genèse : « D’une histoire longtemps vécue dans la dispersion des circonstances, elle a accédé à la sphère politique ; par les affrontements des idéologies, ont émergé une mémoire et des projets collectifs. Alors la société a été vraiment fondée : avec une référence à laquelle des individus et des groupes ont pu se reporter, une identité qu’il leur a fallu définir, une conscience historique qui leur a donné le sentiment plus ou moins illusoire de faire l’histoire et la faculté plus ou moins assurée de l’interpréter ».
Cet imaginaire fondateur, dont les articulations essentielles se mettent en place durant la première moitié du XIXe siècle, Fernand Dumont l’éclaire de façon magistrale en procédant un peu à la manière du psychanalyste : il remet à jour des discours passés qui, bien qu’ils furent des réponses aux situations particulières d’autrefois, demeurent actifs aux époques postérieures malgré l’altération des circonstances. Son travail consiste ainsi à dégager les strates successives qui se sont déposées aux XVIIIe et XIXe siècles et servent de référence à la collectivité québécoise. Cette référence s’édifie en un premier temps avec l’institution de la première Assemblée législative en 1792 — qui permet pour une première fois à un groupe de porter la parole de la société québécoise sur la scène publique –, mais ses articulations essentielles seront posées seulement au mitan du XIXe siècle avec l’avènement de l’historiographie et des utopies, d’un imaginaire collectif qui intègre le passé et l’avenir.
D’une écriture exemplaire, Genèse de la société québécoise demeurera certainement un repère obligé pour les analystes à venir, qui, avec d’autres créateurs, chercheront encore, par de multiples parcours, à délimiter plus nettement la base de référence sur laquelle s’appuie cette société d’Amérique qui est la nôtre.