L’écrivain Luc LaRochelle m’était inconnu, malgré une carrière littéraire déjà bien entamée, mais le titre de son dernier recueil de nouvelles m’a immédiatement plu : Fugues en sol d’Amérique. La musique et le continent, l’errance et la beauté se répondaient en parfaite harmonie. Son recueil de nouvelles, dès le premier récit, avalise la promesse du titre : des personnages présentés en quelques mots, un territoire qui défile, des paysages désolés, esquissés pour en montrer tant la beauté que l’horreur, des histoires anciennes qui refont surface. Le nouvelliste, concis, excelle dans les portraits de personnages en porte-à-faux, dérisoirement impliqués dans une existence terne. En ce sens, « Le bonheur en été », « Homo incognitus » et « Solstice » révèlent les déraillements fréquents d’une existence banale vouée à l’insatisfaction. Les nouvelles évoquent toujours un temps incertain où une transition s’ébauche, mais à laquelle les protagonistes résistent. Changer de cap, déroger à un monde sans sens, faire preuve d’ambition ou consentir les efforts nécessaires pour réussir, voilà ce à quoi ne peuvent s’astreindre ces êtres solitaires, ceux qui renoncent à la suite du monde ou qui cherchent en vain une alternative à leur banalité.
La plume de LaRochelle, dans ses plus belles réussites, rappelle Lise Tremblay et Michaël Delisle, ces écrivains qui ont fait verser la solitude des personnages d’un Jacques Poulin du côté du drame. Et drame indistinct, inaudible, imperceptible il y a dans Fugues en sol d’Amérique. Qu’ils soient au centre-ville de Montréal, attablés au restaurant, seuls à boire leur détresse, en transit dans le ciel nord-américain, dans le Sud en quête d’oubli, dans le Maine à courir après une enfance disparue, les personnages de LaRochelle errent dans les méandres d’une solitude radicale et fuient une existence banale. Repartir à zéro, cet horizon qui se profile au loin pour ces êtres en bout de parcours, semble le leitmotiv, au sens musical, qui ponctue leur fugue mineure. Dans ce recueil, une vaine et belle musique triste émerge, portée par la petite cadence d’un quotidien qui manque d’air.