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Mode lecture zen

NUIT BLANCHE

Des biographies de Freud, il en existe une et une autre, les phénomènes vitaux de Papa variant selon la perspective et les instruments adoptés. Tel coupe les tissus, tel traque les bacilles, tel observe plutôt la croissance du petit homme en plongeant sa caméra dans les tréfonds de l´enveloppe de maman. Toujours, il y a fantasme, désir, amour et haine. Toujours, il y a ouverture du corps, passage de la frontière poreuse et protectrice entre le culte intérieur et le culte extérieur, les plus habiles faisant de l´organisme entier une sorte d´éblouissante invagination. Comme si le fondateur de l´un des plus puissants réservoirs de pensée était chaque fois sommé de revenir en lui-même, au plus près de son impermanence.

Emilio Rodrigé, psychanalyste argentin vivant au Brésil depuis 1974, voit pour sa part moins qu´il n´écoute, cherchant en quelque sorte davantage à identifier les parasites et les bruits qu´à percevoir le battement des artères. Ces propos, reproduits en quatrième de couverture des deux volumes de son ouvrage, indiquent l´approche : « Pour un psychanalyste, écrire l´histoire de Freud signifie ausculter Freud, scruter son corps biographique et le passer au peigne fin à la recherche des poux existentiels. Le biographe-né est un sujet cruel, impitoyable et avide d´anecdotes. Je suis l´un d´eux ». D´où vient cette violence affichée ? Deux sources peuvent selon moi être identifiées : la nécessité, d´abord, d´aseptiser quelque peu le terrain en éclairant la relation transférientielle avec le « biogreffé » de chaque inventeur de sa vie, travail accompli avec brio ; la lutte narcissique d´un homme épris de reconnaissance. S´il est utile pour comprendre les enjeux politiques et psychiques de l´auteur de savoir qu´il a été formé par Paula Heimann et Mélanie Klein, qu´il a participé au groupe Plataforma, qu´il a côtoyé David Rappaport et Erik Erikson, il l´est beaucoup moins de lire mille et une historiettes qui auraient plus leur place dans le cabinet.

Cette réserve faite, voilà un livre imposant, à placer dans la catégorie des indispensables. Si l´édition laisse franchement à désirer (révision médiocre et absence de bibliographie), cela n´empêche pas le travail d’Emilio Rodrigué de compter parmi les plus essentiels des trente dernières années.

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