Analyste politique sollicitée et appréciée, Chantal Hébert exploite à fond son aptitude à jauger les décideurs et leurs orientations de façon presque constamment sereine. Ses opinions sont tranchées et souvent caustiques, ainsi qu’en témoigne le verdict sans appel qu’elle prononce à l’égard d’Hélène Scherrer, brièvement rattachée au cabinet de Paul Martin, mais elle les étaie le plus souvent de convaincante manière. De plus, l’aisance avec laquelle elle évolue sur les deux versants du clivage linguistique canadien donne à ses évaluations une coloration particulière. Rares sont, par exemple, les analystes qui ont vu à quel point importait sous Mulroney et importe aujourd’hui sous Harper l’improbable parenté entre le Québec et l’Alberta. Tout aussi rares seront les observateurs capables de noter que le Bloc québécois a provoqué, à l’encontre de ses vœux, une légitimation du parlementarisme fédéral à force d’y intervenir avec pertinence et honnêteté.
Chantal Hébert n’est certes pas la seule à ridiculiser la performance de Paul Martin comme premier ministre. Elle le fait, toutefois, avec une clarté qui, quoique justifiée, trouve peu d’équivalents. L’homme, sur lequel le Parti libéral fédéral comptait pour ajouter une ou deux décennies à son monopole du pouvoir, se révèle, dès ses premières heures à la tête du pays, hésitant, mal renseigné, pitoyablement gaffeur. À l’opposé, Stephen Harper manifeste tôt et constamment des talents de redoutable manSuvrier. On peut détester ses choix, on devra lui reconnaître l’art de les bien mettre en marché. Quant au chef du Bloc québécois, on sent Chantal Hébert prête à faire sien l’éloge prononcé à son sujet par le fracassant ambassadeur étatsunien Paul Celluci : « Le plus impressionnant des chefs de partis fédéraux… » Quant au NPD, Chantal Hébert lui trouve peu de nerf et encore moins de flair. Il ne parvient plus à se distinguer du Parti libéral et risque d’être remplacé par des partis naissants comme les Verts.
Chantal Hébert, malgré tout, maîtrise mieux la description du quotidien que la supputation de haut vol. Il n’est pas certain qu’elle comprenne bien le geste de Jacques Parizeau cédant l’avant-scène à Lucien Bouchard lors du deuxième référendum ; Mario Cardinal y voit plus clair. Il n’est pas certain non plus qu’un mariage de raison entre le Parti libéral du Canada et le NPD soit dans les cartes ou qu’il soit souhaitable. Dommage surtout que l’écriture de Chantal Hébert soit, au sens un peu étriqué du terme, plus journalistique que littéraire.