Frappabord, taon à cheval, mouche à cheval, mouche à chevreuil, mouche noire… Peu importe le nom que vous lui donnez, cet insecte frappe fort avant de céder à sa dépendance au précieux liquide rouge qui nous coule dans les veines.
Mireille Gagné a elle aussi choisi de frapper fort au départ pour attirer le lectorat. Les premières pages font frissonner, hérisser les poils, contorsionner les visages, mais donnent inévitablement envie à quiconque lit ses mots de dévorer le roman en entier.
Frappabord est brillamment divisé en trois points de vue. Selon le premier, on suit une mouche à chevreuil dans une narration intime, souvent même sensuelle et érotique. Le parcours de la mouche jusqu’à sa victime ainsi que l’attraction forte et puissante que ces mouches ressentent envers le sang humain y sont décrits avec des détails qui donnent la chair de poule ou qui sont tellement proches des expériences communes qu’on pourrait y associer un personnage humain.
On trouve ensuite l’histoire de Théodore, un employé d’une usine à ressort. Il vit seul dans un appartementétouffant de chaleur et infesté de frappabords. Orphelin, son unique parent est son grand-père, qu’il a placé dans une résidence pour personnes âgées. Le style d’écriture adopté pour exprimer ce point de vue est plus habituel, avec le narrateur omniscient et la description des événements quotidiens du protagoniste.
La dernière histoire complète le portrait : Gagné nous ramène à l’époque de la Seconde Guerre mondiale, alors que sont menées en secret des recherches sur des virus, des vaccins et des techniques de propagation efficaces. Le récit est présenté sous forme d’entrées de journal intime, les dates étant notées et écrites au début du texte, mais par un narrateur externe, au lieu du narrateur interne attendu.
En plus d’avoir exposé trois points de vue accrocheurs, intrigants et parfois troublants, Mireille Gagné profite de ce véhicule littéraire pour passer un message à teneur environnementale. Des références au rythme de vie nuisible à l’écologie qu’entretiennent les humains sont placées au fil du récit, notamment dans la partie racontée par le frappabord. On peut même y lire une tirade que ce narrateur inhabituel adresse directement aux humains, en guise d’avertissement et d’appel à l’aide. Gagné nous pousse à la réflexion et à l’introspection, et ce, tout en maintenant le caractère romanesque de son ouvrage.