Depuis le 11 septembre, Gilles Kepel est devenu la figure la plus connue de l’islamologie française. Ayant déjà à son actif nombre d’ouvrages réputés sur l’intégrisme islamique, publiés ces vingt dernières années, le chercheur en est à son troisième bouquin paru depuis les fameux attentats sur le sol américain. C’est sans compter ses nombreux articles dans les grands médias, qui lui valent d’ailleurs maintenant une reconnaissance internationale : Gilles Kepel est en effet le seul islamologue européen avantageusement cité dans les médias aux États-Unis.
La fitna dont l’auteur fait le titre de son ouvrage est le mot arabe pour chaos, le désordre qui guette en permanence la communauté des croyants (oumma) si elle s’éloigne des prescriptions de l’islam. Il s’agit d’un terme négatif, en opposition à jihad, à connotation plus positive, qui implique l’effort, le volontarisme au profit de l’expansion de la religion. Les deux pôles sont donc en opposition, l’un venant diviser la communauté, l’autre la renforcer.
Or, la fitna actuelle qui guette la maison de l’islam ne se fait pas dans le territoire traditionnel, souligne Kepel mais en Europe, où vivent depuis quelques décennies des millions d’immigrés musulmans en contact quotidien avec l’Occident honni des intégristes.
L’ouvrage rend compte de l’évolution politique et idéologique des dernières années au Moyen-Orient, du conflit israélo-palestinien au développement d’al Qaïda, à la politique américaine fondée exclusivement sur l’accès aux hydrocarbures et la sécurité d’Israël. Le propos est complet et excellent, bien ficelé, et informatif, surtout l’exposé sur la révolution néo-conservatrice aux États-Unis, ses origines, ses penseurs, et son idéologie qui a mené tout droit au volontarisme guerrier en Irak.
Ceci dit, le titre porte à confusion : on s’attend en effet à un débat sur la lutte cruciale entre laïcistes et intégristes en islam, dont l’issue déterminera la sécurité internationale, bref à un propos fouillé sur cette « guerre au sein de l’islam », sur ses penseurs, ses activistes, notamment sur les laïcistes, encore peu connus, qui tentent de moderniser l’islam et de l’adapter aux réalités modernes. Ce sera, espérons-le, pour une prochaine fois.