En 1975, la première version française de Son of a Smaller Hero s’intitulait Mon père, ce héros et cette ambiguïté en avait confondu plus d’un à l’époque. Le titre fidèle de la nouvelle traduction exprime mieux les nuances des relations familiales que raconte l’enfant terrible de la rue Saint-Urbain.
Le deuxième livre de Mordecai Richler, paru en 1955, est aujourd’hui considéré « comme l’acte de naissance d’un immense écrivain », ce qu’indique bien la quatrième de couverture. On dit que Richler avait lui-même renié sa première œuvre, The Acrobats, jamais traduite et publiée en 1954 alors que le vingtenaire vivait à Londres. Fils d’un tout petit héros, dont l’action se situe dans le quartier pauvre du Mile End dans les années de l’après-guerre, réunit tous les éléments spécifiques aux futures sagas juives de l’auteur montréalais. Le roman suit l’évolution que connaîtront trois générations d’Adler depuis leur arrivée au Canada au XIXe siècle. L’aïeul Melech dirigera sa famille nombreuse d’une main de fer, alors que son fils aîné, Wolf, deviendra « un tout petit héros ». Le protagoniste Noah, premier petit-fils de Melech, sera quant à lui le rebelle qui décevra à la fois son grand-père et son père, celui qui essaiera d’amener les siens à la modernité.
Autant sur la Main que dans le chic Outremont, situé à proximité, Noah et sa famille se plient aux rituels juifs orthodoxes, parlent yiddish entre eux, se méfient des non-Juifs. Ils travaillent avec énergie et passent leurs étés dans les chalets délabrés de Prévost, dans les Laurentides, à côté de Shawbridge, là où dans les années 1940 Noah « avait rencontré les goyim pour la première fois… ». L’écriteau au bord du lac voisin avait stupéfait Noah et ses amis : « CETTE PLAGE EST RÉSERVÉE AUX GENTILS ». « Un Gentil, c’est un catholique et un protestant en même temps ? »
Noah connaîtra une longue histoire compliquée avec Miriam, une femme mariée non juive, qu’il avait rencontrée alors qu’il fréquentait le collège Wellington tout en travaillant comme chauffeur de taxi, à la grande honte de la famille Adler. La vie du jeune homme sera une longue quête de liberté, faite de révoltes, d’égarements et de maladresses. Il aura à combattre l’incompréhension et l’inflexibilité des siens. « Le Dieu de Melech, sévère, parfois juste et toujours impitoyable, le récompenserait et punirait le garçon » aimait croire, à tort, le grand-père lui-même.
Le romancier a déjà avoué que, selon lui, il n’écrivait pas très bien dans ses jeunes années, ce qui pourrait expliquer certaines tournures de phrases pour le moins étranges qui semblent avoir été volontairement traduites de façon littérale. À titre d’exemple, parlant des pères du ghetto de Montréal, Richler affirme : « Certains sont orthodoxes, d’autres vides », une formulation qui laisse le lecteur un peu interloqué.
Écrivain, romancier, essayiste et scénariste, Mordecai Richler est né à Montréal en 1931 dans un milieu juif orthodoxe. Depuis sa mort en 2001, la bibliothèque de son quartier d’enfance, le Mile End, porte son nom et une gigantesque murale le rappelle à la mémoire de tous.