Je ne sais pas si vous avez déjà fait un trip d’acide, mais ce roman en raconte un bon, délirant, suave et drôle qui court sur une quarantaine de pages. « Marijane », haschich et bière complètent le voyage dans lequel s’embarquent Pierre et le narrateur dont on ne saura pas le nom.
Dans ce roman initiatique, le narrateur et Pierre, qui ont plus ou moins 20 ans, passent une fin de semaine à Trois-Rivières, leur ville natale, hébergés par Marguerite, la tante délurée de Pierre. Nous sommes au début des années 1970. Le récit débute à Montréal, où ils vivent, et se termine avec leur retour.
Le narrateur est barman et se dit poète, tandis que Pierre étudie les arts plastiques au cégep et rêve de devenir peintre. Les deux partagent la même passion pour le concept de noosphère, qu’ils ont découvert chez Teilhard de Chardin.
À Trois-Rivières, ils retrouvent Bill, un ami d’enfance, et Suzanne, une copine du narrateur (et une de ses maîtresses), et rencontrent Monique et Jacqueline. Tout le groupe demeurera soudé, partageant activités, drogue, bière et nourriture.
L’action importe peu. Tout le plaisir du roman est dans les échanges, dans leurs réflexions sur la vie, l’art, la littérature, la société. À cela s’ajoute la graphie très particulière de Jean Chicoine : il utilise un code plus oral qu’écrit qui peut agacer au début, mais qui n’est pas moins conforme à la façon de voir de ses personnages. Ainsi, « ossi », « com », « téléfoner », « esti », « cosmic », sans oublier « noosfère » et bien d’autres mots ont une texture qui les éloigne de l’orthographe officielle.
Une autre caractéristique est l’utilisation systématique des dialogues et des expressions qui viennent rythmer les interventions des personnages. Enfin, il n’y a ni majuscules ni points. Le texte est une longue phrase ponctuée par ces dialogues, qui eux sont délimités par des guillemets.
Le tout baigné dans une dérive nourrie par de multiples joints et caps d’acide durant laquelle les personnages font le point sur leur vie, leurs espoirs, leurs craintes dans une tentative de comprendre ce qu’est la noosphère : « La noosfère est dans notre tête qui est dans la noosfère et toutlmonde est dans la tête à toutlmonde, ce qu’on imagine, ce qu’on rationalise, ce qu’on invente, nos rêves, nos espoirs, nos chagrins, nos illusions, nos fictions, nos misères, toutes ces pensées, ces notions, ces idées […] forment la noosfère, puis c’est certain que la noosfère est invésibcom l’air ».
Un roman ludique, fondé sur le quotidien de personnages qui vivent la transition entre l’adolescence et l’âge adulte et qui, surtout, cherchent à donner un sens à la vie : la noosphère demande qu’on la cultive (dans tous les sens du mot), d’où, peut-être, le fermier du titre.