« Anciennes ouvrières, bonnes, postières, auxiliaires agricoles, les [femmes bourreaux des camps de concentration et d’extermination allemands] n’ont pas été recrutées par le régime [nazi] comme ‘expertes de la terreur’. Bien souvent, c’est l’univers concentrationnaire et ses propres règles qui les ont transformées en tortionnaires impitoyables. »
Raconter l’origine de ces femmes, leurs motivations mais aussi la manière dont elles sont devenues les instruments volontaires de la machine à tuer nazie, tel est le projet du remarquable essai de Barbara Necek, Femmes bourreaux.
Treize millions d’Allemandes ont été enrôlées dans l’organisation du Troisième Reich, nous apprend-elle d’entrée de jeu. Un premier regroupement de femmes nationales-socialistes, le Frauenkampfbund (Union combattante des femmes), voit même le jour en Allemagne dès 1926. Pourtant, seules 4 000 seront recrutées dans les décennies suivantes pour devenir gardiennes de camp. Précisons que, si l’obligation de travailler pour le Reich était réelle, ces femmes pouvaient « refuser de travailler dans un camp, [elles] ne risquaient aucune sanction ». C’est donc de plein gré qu’elles se sont enrôlées.
Devant la promesse d’un « salaire alléchant, d[e] logements décents et [d’]un uniforme pour faire un travail ‘réputé facile’, beaucoup de ces femmes de milieux défavorisés, peu éduquées, aux ambitions professionnelles déçues [ont eu l’impression, en accédant à ces fonctions,] d’être devenues quelqu’un ». Ce travail les élève, même si la plupart ne le font pas par conviction, nous dit l’auteure. « D’autres plus discrètes mais tout aussi importantes [dans la machine à tuer] ont servi de petites mains dans la surveillance, les administrations, les hôpitaux […] kapos, infirmières, femmes médecins, auxiliaires et épouses SS, toutes ont eu un rôle à jouer dans le massacre de millions de gens. »
Sans s’appesantir sur les terribles conditions de vie des détenues – largement étayées par d’innombrables témoignages et documents –, mais sans les taire non plus, Barbara Necek s’intéresse davantage au portrait de ces femmes qui n’avaient pas au départ l’étoffe des bourreaux, mais dont certaines se sont rendues coupables des crimes les plus abominables. Si le portrait qu’en fait l’historienne est forcément à charge, il s’avère aussi parfois nuancé. C’est ce qui fait le grand intérêt de Femmes bourreaux : montrer, à partir de cas concrets, comment il est aisé de passer du rôle de banal citoyen à celui de tortionnaire.