Essayiste et professeur émérite de littérature à l’Université de Sherbrooke, l’auteur dit avoir passé « 10 ou 15 ans de sa vie à scruter » le sujet « du statut et du sort de la fiction, de la lutte pour son autonomie » au Québec. Sa 19e publication propose « une marche à travers la vie des lettres […], pour revisiter les principaux temps forts de la contrainte et de l’émancipation littéraires, de l’apparition de l’imprimerie jusqu’à la Révolution tranquille ».
Pierre Hébert passe en revue les luttes menées en faveur de la liberté d’écrire, de lire et d’imaginer. Il s’attache en particulier à la censure cléricale qui « est demeurée somme toute fermement établie du milieu du XIXe siècle jusqu’[aux] années 1930 ». Dans sa « défense et illustration de la fiction », il retrace des épisodes de censure et d’autocensure entourant par exemple les romans Marie Calumet (1904) de Rodolphe Girard et La Scouine (1918) d’Albert Laberge, dont la réédition en 1946, dans le premier cas, et la parution d’un seul chapitre en 1909, dans le second, ont donné lieu à des débats houleux. Il rappelle aussi, sur la scène judiciaire, le procès pour obscénité engagé à Montréal, en 1959, contre le roman L’amant de Lady Chatterley, de David H. Lawrence, à la Cour des sessions de la paix. La scène politique n’est pas en reste : que l’on remonte à la saisie et à la suspension des journaux La Gazette littéraire de Montréal et Le Canadien, fondés respectivement en 1778 et 1806, jusqu’à tout récemment avec l’« absurde censure de la Santé publique » contre le roman de François Blais, Le garçon aux pieds à l’envers (2022). Et que dire de l’arène universitaire avec l’affaire Lieutenant-Duval, à l’Université d’Ottawa, en 2020, au sujet du mot en « n ». Un incident du même genre s’est produit à l’Université McGill en janvier 2021, mettant en cause le roman Forestiers et voyageurs (1863) de Joseph-Charles Taché. Ici, Hébert ne pouvait pas manquer d’évoquer les multiples remous suscités par l’essai politique de Pierre Vallières, Nègres blancs d’Amérique (1968), qui « apparaît comme un livre majeur dans l’histoire littéraire du Québec ».
Tout en se disant « pas polémiste, mais pas naïf non plus », et ne voulant « convertir personne », Pierre Hébert pourfend dans son parcours nombre d’opposants à la liberté en titre, tels que les « illittéraires, ces censeurs d’occasion à la culture obtuse », et les « sous-fifres » comme les critiques Dostaler O’Leary et Jean-Paul Pinsonneault. Il souligne en revanche, dans les années 1930, l’apport des « Sisyphe […] Albert Lévesque, Louis Dantin, Jean-Charles Harvey, Olivar Asselin et tutti quanti », ces « Champollions qui [ont] cherch[é] à percer les hiéroglyphes de la contrainte ».
On le voit, l’essayiste a le sens de la formule. Il utilise de même volontiers le langage familier de la conversation et pratique un humour efficace qui n’ébranle pas, bien au contraire, le sérieux de ses propos : ainsi parle-t-il du « chapitre de merde », à la fin de Marie Calumet, pour évoquer l’épisode de la diarrhée générale, et désigne-t-il le critique Camile Roy comme l’« entrepreneur d’identité nationale ». Ailleurs, on l’entend interpeller le lecteur : « Ça viendra, patientez… », « Le rire, yes sir ! » ou « Alors allons-y ».
Bref, voilà un fort pertinent essai sur un sujet que son auteur, très documenté, connaît à fond.