De livre en livre, Alain Deneault maintient une haute exigence de recherche et de critique, exigence d’autant plus méritoire qu’il aime se frotter, ainsi qu’en témoignent les cibles visées dans cet ouvrage, à des défis diversifiés. Des paradis fiscaux au sport professionnel, de la censure au génocide involontaire, la gamme est large des enjeux sociaux que son esprit critique met en lumière. Du coup, plusieurs auditoires sont ainsi invités au même effort de lucidité. Il est réjouissant de constater que Deneault, secoué comme il le fut sans doute par l’acharnement de certains conglomérats allergiques à la transparence, n’a pas démissionné pour autant.
Un de ses plaidoyers récents (Offshore, Paradis fiscaux et souveraineté criminelle, Écosociété) effectue ici un nouveau tour de piste. Deneault y va de précisions supplémentaires, frappe anciens et nouveaux accusés de blâmes inédits. Surtout, il insiste plus que jamais sur les paradis fiscaux à l’œuvre à l’intérieur des frontières familières. Il n’est plus question de toujours imaginer l’oasis fiscale comme une « destination exotique ». Cette fois, Deneault fait tonner l’artillerie lourde contre le Delaware étatsunien avant d’écrire, à l’intention d’un public encore plus rapproché : « […] le gouvernement québécois flirte régulièrement avec l’idée de transformer la province en un Delaware du Nord […]. En témoigne un document de consultation annexé à la Loi sur les sociétés par actions de décembre 2009 ». La boucle est ainsi bouclée : le paradis fiscal ne répugne à aucun décor.
Le sens critique de Deneault le protège de toute autocensure. Par contre, il l’expose à l’inflation. Si, par exemple, on tombe volontiers d’accord avec lui pour déplorer que nombre de conglomérats font peu de cas des vies qu’ils étouffent, on éprouve un malaise à voir Deneault étirer à l’excès la notion de génocide et mettre en branle le soupçon de génocide involontaire. L’intention principale du conglomérat, ce que les avocats dénommeraient la mens rea, semble, en tout cas, perdre de son importance. Sans innocenter les tueurs en complet veston, ne doit-on pas réserver l’accusation de génocide aux offensives menées dans le but précis d’effacer un peuple de la surface de la Terre ? La haine est-elle la même chez le capitaliste qui joue au Ponce Pilate que chez le raciste en quête de solution finale ?
Deneault court le même risque d’inflation à propos du sport. Il condamne l’activité sportive, pourtant nécessaire et volontiers éducative, alors que seul l’aliénant spectacle sportif mérite autant de colère.
Lucidité courageuse et toujours nécessaire, à ne pas lancer contre des moulins à vent.