Comme Daniel Canty, dont elle cite les mots en début de livre, Marie-Hélène Voyer fait une promesse de fidélité aux lieux qui l’ont forgée. Elle les revisite à travers un projet poétique vaste au rythme irrégulier.
Le livre se lit comme une traversée des lieux : de l’enfance à la vie adulte, de l’exploration d’un territoire à la façon dont la narratrice l’habite et dont il l’habite, de l’enracinement à l’errance, puis à la rencontre avec soi. L’écriture se veut entière ; l’accumulation dans les textes, façon bric-à-brac ou kaléidoscope, montre combien le projet ratisse large. L’auteure, semble-t-il, n’a rien voulu sacrifier. Elle défriche, fouille la mémoire pour en extraire chaque détail. Les animaux, les bottes de foin, les champs de fleurs et les vaches pourrissant au soleil sont partout, superposés aux beautés comme aux violences de la vie. Le quotidien, qu’il se déroule sur la ferme, au village, aux abords d’une autoroute ou dans un quartier résidentiel, se révèle tendre et brutal.
Si, en début de lecture, le procédé de l’énumération fonctionne bien, par son exhaustivité et sa densité, plus on avance dans le livre, plus on se trouve écrasé sous le poids de l’accumulation, puis finalement agacé. Certains (plusieurs) poèmes sont des listes, longues suites d’émotions, d’objets, d’événements dangereux qui peuvent vous arriver si vous vivez sur une ferme, de choses qu’il faut faire ou non : « Il faut aller aux roches. Il faut choisir les plus lourdes et les plus grosses. Il faut les soulever avec la barre d’acier. Il faut faire comme les hommes ». Ce type de poème, en forme de « il faut/il ne faut pas » revient à de trop nombreuses reprises tout au long du livre. Le regard de la poète s’agrandit pour tout prendre de ce qui l’entoure, mais l’essence, la vivacité et le rythme s’en trouvent dilués.
Les textes les plus beaux : « Mille fois la besogne / je regarde / ton front penché / tes génuflexions / tu m’apprends la douleur / une bête à la fois » ou encore : « Ici plus rien ne vêle / tu as perdu la langue de l’enfance / elle a glissé / hors de toi / comme un veau / mort-né » se retrouvent à côté d’autres poèmes qui m’ont laissée perplexe : « Starbuck Lucie / Seven up Marina / Aerostar Marguerite / Enhancer Julia / Rockman Paula /Tempo Roxy / Tu donnais à chaque vache / un nom de rock star ».
J’aurais souhaité un fil conducteur plus solide entre les passages à la forme redondante et les moments d’étincelles, là où la poète s’aventure en terrains dangereux, mais fertiles. Les sections « Les élancements » et « Les effarouchements » me sont apparues comme les plus fortes du livre. Les poèmes y font entendre une véritable voix qui m’a portée avec elle. D’Expo habitat je garde donc la lourdeur (de l’accumulation, du quotidien, d’une douce forme d’ennui), le regard pointu de Voyer, la tendresse que j’y ai vue et le désir de conserver, d’archiver la vie et la mémoire ; puisqu’il faut s’inscrire dans le territoire, y laisser une trace, car tout habitat peut potentiellement nous dévorer.