Bien peu d’analystes de l’information québécoise possèdent les qualifications d’Armande Saint-Jean. Longtemps immergée dans l’information et les affaires publiques à Radio-Canada, elle a, en effet, ajouté à ce parcours des années d’enseignement et de recherche dans ce même champ d’activité. D’où la fiabilité de l’exposé. Les quarante années dont parle l’auteure, elle les a vécues ou dans la pratique quotidienne ou dans un questionnement ininterrompu.
Armande Saint-Jean fragmente l’histoire sociale du journalisme québécois en quatre phases. Le découpage en décennies, malgré son caractère apparemment arbitraire, se défend assez bien. De 1960 à 1970, l’air frais circule. La Révolution tranquille stimule la société et les médias, Le Nouveau Journal modifie le ton et l’esthétique et devient un exemple, une profession naît. La décennie, cependant, se clôt sur une crainte : la concentration. De 1970 à 1980, le journalisme québécois vit intensément. La crise d’octobre oblige à scruter les liens entre le métier et les convictions politiques, la montée du courant souverainiste force chacun à s’interroger, le syndicalisme épure les mSurs et radicalise les opinions. De 1980 à 1990, cette ferveur retombe. Pendant que les relationnistes s’affirment, les journalistes s’embourgeoisent. Évolution d’autant plus inquiétante que la télévision impose l’information spectacle. Le journalisme s’affadit. La quatrième décennie (1990-2000), Armande Saint-Jean la décrit comme une phase de mutation. Procédant à une synthèse de ces quatre bilans, l’auteure propose la théorie des glissements. Il est difficile de contester la valeur de cette théorie, tant le bouquin a fait du glissement une sorte de tendance lourde et de règle non écrite. De décennie en décennie, le monde de l’information perd ce qu’il avait conquis ou déborde vers de nouvelles valeurs.
Armande Saint-Jean se serait-elle sous-estimée ? Peut-être. Sa compétence et son prestige auraient pu la conduire, en tout légitimité, à proposer un verdict plus tranchant pour la quatrième décennie : mutation, en effet, équivaut presque à un pléonasme tant le phénomène se retrouve à chaque interface. Tout comme glissement est un peu pudique.