Le plaisir est dans l’écriture de l’émerveillement devant les paysages qui s’offrent à nous. C’est la perspective hédoniste que nous invite à partager le philosophe Michel Onfray dans ce beau petit livre où les divers courts chapitres sont autant de « stèles hyperboréennes » en hommage au pôle Nord. L’auteur nous entraîne dans une quête attentive à la recherche des formes, des signes, des symboles et des rites sur cette Terre de Baffin qui procure à ses yeux une « sensation d’un lendemain de création du monde ».
Les contours de cette esthétique se dessinent graduellement autour de la terre et de ses aspérités, du climat et de sa rigueur, de l’espace et de son immensité, et enfin, d’un peuple et de son acculturation. À travers ce parcours, il est surtout question du temps, de son ordonnance, de ses nombreuses figures, de ses rythmes. Cette ethnologie du temps tracée par Michel Onfray est la source d’observations fort intéressantes, débarrassées des mythes sur les Inuits et leurs traditions. Elles font preuve aussi d’une belle sensibilité, ramenant tout à l’essentiel en ce lieu de l’esprit : le silence, la vie, la survie. Mais dans cette évolution, le passage qui mène à la confrontation avec la modernité occidentale aboutit tragiquement à une rupture. Le temps « nihiliste » s’installe. Pour l’auteur, c’est la disparition d’une identité, ce sont les transformations qui s’incrustent dans la durée en déracinant l’ensemble d’une culture, entre dépendance et déchéance.
Loin du récit de voyage donc ou d’un hommage improvisé à la « grandeur d’un peuple », Esthétique du pôle Nord pose un regard lucide sur une réalité incontournable. Mais c’est également la réalisation d’un rêve, celui de Gaston Onfray, père de l’auteur. À 80 ans, il a pu enfin voir ce pôle Nord et se lier, avec les gestes et le regard, à Pauloosie, le vieil Inuit qui portait encore en lui les souvenirs et la parole de son peuple lorsque jadis, le temps lui appartenait.