Avec Le sacre (1998), Paul-Marie Lapointe atteignait un équilibre entre les jeux formels et l’émotion qui lui fut un véritable renouvellement poétique. D’un format plus modeste, Espèces fragiles poursuit dans cette veine tout en présentant davantage d’éclectisme. Certains textes figureraient très bien dans des collectifs oulipiens, d’autres se font plus descriptifs alors que certains s’aventurent du côté social de l’existence, là où « les marchandises se dévorent entre elles / et les discours pourrissent / à la sortie des gueules », dans la « nuit cathodique / nuit de l’Efficace / et de l’Avare ».
Même si certains segments de ce livre risquent de se limiter à un esthétisme plutôt contingent, on doit reconnaître que Paul-Marie Lapointe demeure beaucoup plus actuel que bien des écrivains de générations postérieures à la sienne. Et qui d’autre peut se permettre d’associer un (excellent) sonnet (« L’écrit ») avec des jeux sonores et lexicaux en hommage à Georges Perec, sans avoir l’air démodé ni vain ? Avec Espèces fragiles, le poète parfait le miniaturisme auquel il aspire désormais, tout en menant à bien la métaphore qui fait du mélange de genres l’emblème des mutations en cours dans la culture autant que dans la nature.
Malgré sa brièveté, l’ouvrage eut certainement pu subir quelques coupures supplémentaires, car les classiques de l’auteur nous ont habitués à beaucoup trop de rigueur pour qu’on lui pardonne la moindre gratuité. Pourtant, il n’est pas toujours facile de distinguer la profondeur des énigmes qui se cachent dans certains poèmes approchant le ton de la fable. En observateur patient, expérimenté mais humble, Paul-Marie Lapointe dépeint notre civilisation, l’Amérique, à l’affût des croisements propices à rajeunir la vision. « [M]ais déjà les pousses frêles / et voraces / les rejetons et les mousses / surgissent des fissures du granit / entament la merveilleuse / la terrible tâche d’assurer l’avenir / l’éternelle destruction du monde » : s’il n’a plus d’avantage à jouer l’incendiaire, le poète ne saurait quitter le démembrement-remembrement du réel auquel il participe absolument.