Pour qui suit avec attention et intérêt l’œuvre de Robert Lalonde, Espèces en voie de disparition, le recueil de onze nouvelles paru le printemps dernier, s’inscrit dans la continuité des thèmes chers à l’auteur, mais avec le condensé propre à la nouvelle qui permet de circonscrire avec acuité la tension dramatique que l’on retrouve ailleurs dans l’œuvre romanesque de l’écrivain. D’emblée, le titre évoque ces êtres que la société a tôt fait de marginaliser en raison des différences qu’ils affichent et qui menacent l’ordre des choses, l’apparente tranquillité qui endort nos consciences dès lors qu’elles sont confrontées à ce qui leur est étranger. Le thème de la gémellité traverse le recueil, comme si l’auteur, par ce seul choix, voulait mettre en garde son lecteur contre le côté factice de ce qui nous est donné comme unique. Qu’il s’agisse d’un couple âgé qui voit poindre le jour où l’un et l’autre devront renoncer à leur autonomie, d’un personnage atteint du sida qui désire se libérer de son enveloppe corporelle, d’un autre qui vend tour à tour son corps et des drogues pour échapper au regard des autres qui ne lui renvoient que sa propre exclusion, ou de tous les autres « anges brisés » qui traversent ce recueil sur lequel plane parfois l’ombre de Virginia Woolf, une même fragilité les unit.
Outre le thème de la gémellité, celui de la mort est omniprésent, constant prétexte pour nous rappeler la fragilité de la vie, l’importance de la célébrer, de la consommer jusqu’à son dernier souffle. À cet égard, « L’accidentée » est une nouvelle particulièrement réussie. Un homme se trouve témoin d’un accident de la route lorsque la femme qu’il suit perd le contrôle de sa voiture et passe à deux doigts de la mort. Alors qu’il se précipite pour lui venir en aide et lui demande si tout va bien, elle lui répond : « Je pense que ça va bien, je n’ai rien ». Ce qui provoque aussitôt chez le narrateur un mouvement non pas de colère, mais de vive incompréhension devant tant d’inconscience : « J’ai eu furieusement envie de lui répliquer : ‘Vous avez tout, au contraire, vous avez la vie sauve, l’air, le vent, la rivière verte, le ciel bleu, le temps et même l’espoir de sortir du temps ! Vous êtes vivante !’ » C’est ce cri de vie qui traverse ce magnifique recueil, ancré comme toujours chez Robert Lalonde dans une nature omniprésente, tantôt calme reflet de ce que vivent les personnages, tantôt prolongement de ces espèces en voie de disparition.