L’homme qu’interroge Michel Sarra-Bournet mérite d’emblée cette attention. Son parcours, marquant autant que cohérent, permet à Louis Bernard de multiplier les angles d’observation sans l’éloigner des principes qui fondent son action. Les ingrédients de cette heureuse synthèse, Bernard s’offre à les identifier : d’une part, dit-il, une formation qui incite aux retouches orientées plutôt qu’aux virages brutaux ; d’autre part, dirait son curriculum, des tâches qui le mettent en contact avec une large gamme de défis sectoriels ou globaux. Preuve que cette combinaison d’atouts répondait aux besoins, plusieurs premiers ministres ont fait appel à lui, même s’il professait un credo politique différent du leur.
Devant une carrière aussi riche, chacun peut mettre l’accent où il le souhaite. Pour ma part, même si Michel Sarra-Bournet insiste peu sur cette facette, j’entretiens une admiration particulière pour le travail abattu par Bernard au profit de la minuscule opposition parlementaire du Parti québécois (PQ) au début des années 1970 : grâce aux dossiers de Bernard, une poignée de députés péquistes a souvent tenu la lourde majorité libérale hors d’équilibre. Du coup, on comprend pourquoi le troisième chapitre, consacré au parlementarisme québécois, est le plus vivant : les réponses de Bernard y sont courtes, concrètes, rationnelles et sa connaissance du terrain manifeste.
Constatons, par ailleurs, que, l’expérience aidant, Bernard assouplit sa propre profession de foi. Quand, par exemple, il évoque ses négociations avec les Innus, il déclare : « Après étude du dossier, j’ai constaté que, si on voulait avancer, il fallait transformer complètement la façon dont on négociait ». Petits pas peut-être, mais aussi virage. De même, lorsqu’il se prononce sur l’avenir du PQ, Bernard se range carrément dans le camp qui voit dans la souveraineté l’élément clé et presque unique. Réorientation radicale, on l’admettra. L’idéologie tolère la souplesse.
Sarra-Bournet mène ces entretiens avec intelligence et rigueur. Peut-être, cependant, aurait-il pu interroger Bernard plus particulièrement sur la détérioration qui affecte depuis une vingtaine d’années les mécanismes québécois d’aération et de consultation. Autant le Québec est inventif dans la création de passerelles entre la société et le gouvernement, autant il les laisse ensuite tomber en désuétude : mort des sommets socio-économiques, raréfaction des commissions d’enquête, agonie des conseils consultatifs, stérilisation des commissions parlementaires par le pouvoir exécutif, etc. On aurait aimé que Bernard commente ce dangereux élargissement du fossé entre le pouvoir politique et la société : la haute fonction publique, nettement plus professionnelle qu’au temps jadis, aurait-elle développé une allergie aux conseils venant de l’extérieur ? La question affleure, mais elle aurait mérité plus d’attention. Que Sarra-Bournet perçoive cette remarque non comme un reproche, mais comme un appel à récidiver.
LOUIS BERNARD
- Boréal,
- 2015,
- Montréal
304 pages
27,95 $
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