Depuis quelques décennies, l’engouement des Québécoises et des Québécois pour le pèlerinage à pied, notamment sur les chemins menant à Saint-Jacques-de-Compostelle, ne se dément pas. De nombreux récits de pèlerinage témoignent de cette popularité, mais jusqu’à présent aucune étude québécoise d’envergure n’a encore tenté d’en prendre la mesure.
Le sociologue, professeur émérite et marcheur expérimenté Michel O’Neill entend remédier à la situation. Conjuguant recherche documentaire, collecte de témoignages et observation sur le terrain, son ouvrage porte plus précisément sur ce qu’il appelle « le phénomène de la marche pèlerine », non seulement à Compostelle mais également au Québec.
Après avoir défini puis circonscrit ce qui distingue et caractérise la « marche pèlerine », O’Neill rappelle l’histoire du pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle de ses origines jusqu’à nos jours, en portant notamment attention à l’« un des catalyseurs du phénomène québécois de la marche pèlerine vers Compostelle », soit l’association Du Québec à Compostelle, fondée en 2000. Il s’intéresse ensuite aux avatars québécois suscités par le Camino, et en particulier à la mise en place et à la fréquentation de dix-huit chemins québécois recensés à l’été 2016, dont le Chemin des Sanctuaires, qui va de l’oratoire Saint-Joseph-du-Mont-Royal jusqu’à la basilique Sainte-Anne-de-Beaupré dans la région de Québec. Cette partie intitulée « De Compostelle au Québec », qui fait état de ce phénomène moins connu mais en pleine croissance de la randonnée pèlerine au Québec, ne manque pas d’originalité. Mais la partie la plus intéressante du livre du sociologue demeure sans conteste le chapitre qui aborde la question du « pourquoi ». « Qu’est-ce donc qui motive les Québécoises et Québécois à se lancer sur les chemins de marche pèlerine d’ici et d’ailleurs ? » se demande O’Neill. Évidemment, les motivations, que ce soit celles de l’auteur lui-même ou celles qu’il a recueillies en témoignage, sont multiples : vivre une expérience spirituelle, « prendre un temps de réflexion dans un moment de transition », « relever un défi physique », « voyager en Europe à petit prix », succomber à « la mode de ‘faire Compostelle’ », et même rencontrer l’âme sœur, etc. Malgré le déclin de la religion, des motifs religieux (ex. : obtenir des indulgences, expier une faute) inspireraient également des pèlerins. Enfin, le dernier chapitre de l’ouvrage porte sur la tension entre « l’esprit du chemin » et « l’esprit d’entreprise » qui animent entres autres les associations et les organismes, lucratifs ou non, qui offrent leurs services pour préparer et accompagner les pèlerins. Ce chapitre soulève un paradoxe auquel sont sensibles de plus en plus de marcheurs. Victimes de leur succès, certains chemins de marche pèlerine, en Europe surtout, font l’objet d’une marchandisation commerciale qui va à l’encontre de la tradition séculaire de « charité chrétienne », de spiritualité et de dépouillement matérialiste dont ils sont emblématiques. En un sens, cette contradiction n’est pas nouvelle et au risque de faire une comparaison un peu excessive, on pourrait dire que là où le Camino du Moyen-Âge avait ses brigands et ses coquillards, celui d’aujourd’hui a ses commerçants et ses touristes !
Bien documentée et fort originale, l’étude de O’Neill apporte une contribution importante à la connaissance du phénomène de « la marche pèlerine, différente de la marche de longue randonnée classique ». Comme le reconnaît l’auteur toutefois, beaucoup reste à faire pour bien comprendre ce qui jette sur les chemins des milliers de marcheurs. Ainsi qu’il le mentionne, « pérégriner sur les chemins de Saint-Jacques a pénétré l’imaginaire québécois d’une manière intrigante, qu’il serait sans doute passionnant d’étudier plus à fond ». Par ailleurs, bien que le pèlerinage à pied fournisse aux pèlerins « un temps d’arrêt dans leurs vies suractives », comment rend-il possible la régénération identitaire et le réenchantement auxquels on l’associe généralement ? Comment contribue-t-il à redonner « un sens à sa vie quotidienne » ? C’est là un vaste sentier à explorer et à baliser !
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