La présente édition est la quatrième depuis la parution originale en 1967. L’auteur y pratique le sonnet classique, en alexandrins (avec césure à l’hémistiche ou coupés 4-4-4) et avec alternance des rimes masculines et féminines. Comme son titre l’annonce, l’œuvre est toute entière dédiée au souvenir de celle qui a partagé la vie du poète pendant quarante ans : « J’aspirais à T’y peindre en Ta réalité, / De l’onde baptismale à l’onction suprême ».Non titrés et seulement numérotés, les sonnets de ce quatrième recueil atteignent une sobre mais notable élégance. « L’heure était un navire en cours d’appareillage », lit-on par exemple. « Le dernier pan de nuit entre les monts recule ; / Dans l’herbe, la rosée égrène ses joyaux », voit-on aussi. « Un sonore dragon surgit dans le lointain : / C’est la vernale transhumance des bernacles », disent encore deux alexandrins, traduisant par une pertinente métaphore mythique l’arrivée criarde des oiseaux migrateurs. D’autres vers expriment avec force la blessure de l’absence : « Le jour est né sans aube au ras d’un ciel crevé / Entre un débris de flamme et quelques vapeurs blanches ». Clémence, la fille bien connue du poète, a beau souligner dans sa courte préface l’emploi d’« automne » au féminin – la chose se répète au trente-septième sonnet –, on peut tout de même questionner la qualité de ces vers : « Le lavoir / Improvisé sert de baignoire au canard noir », « J’y déplore un décor de flore anthropochore ». Les répétitions phoniques n’ont rien d’une allitération signifiante : ces emplois douteux altèrent néanmoins très peu la richesse d’ensemble des poèmes. En revanche, l’utilisation judicieuse des rejets et de l’apocope (« encor » pour « encore ») se joint à d’efficaces rapprochements lexicaux (un « vertige insecticide » le « timbre électrique » de l’écureuil) et se conjugue harmonieusement à un vocabulaire qui va du simple au recherché : du « marteau pneumatique » de l’oiseau qui « minule » au « mal batave » du « moteur sur le lac calme » à « [l]’aoûteron flamand [qui] jouait du galoubet ». De plus, le sonnettiste crée à l’occasion ses propres vocables : une « rumeur staccatante », « la vie est ionescoesque », « je reste […] un malchançard ». Il ne se prive pas davantage de recourir aux « roses de Saron », à la légende des « Sept Dormants d’Éphèse » et aux mythologiques personnages ovidiens de Philémon et Baucis. Le rythme propre à l’alexandrin est accentué par la régularité de la disposition des rimes, toujours la même (abba-abba-ccd-ede). Notons que le dernier sonnet, inachevé, comporte un seul tercet significativement terminé par un octosyllabe illustrant avec justesse la rupture finale : « Toujours discrète, tu partis… »C’est la plupart du temps dans un cadre naturel que « l’épouse en-allée » est évoquée. Les arbres, les plantes, les fleurs, les fruits, les animaux, les saisons avec leurs couleurs… Toute la nature fournit son décor au poète esseulé pour dire son accablement, « la saveur du passé » aboli et les « bonheurs anciens » : « Je ne trouve rien depuis que je T’ai perdue ». Dans ce milieu à la fois lyrique, romantique et réaliste apparaissent aussi des instruments de musique et des musiciens, un peintre, des écrivains d’ici et d’ailleurs, du reste parfois cités au texte.La forme du sonnet, fort en vigueur en France au XVIe siècle d’abord, puis au XIXe, et pratiquée assez abondamment au Québec aux XIXe et XXe siècles, n’est guère visible de nos jours, à l’heure où même la rime n’est ordinairement plus recherchée, pas plus que la symétrie du mètre. Les quarante-neuf poèmes des Élégies pour l’épouse en-allée sont dès lors un moment de grâce dans le rappel de ce genre exigeant.
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