C’est une chose plutôt rare de voir un roman être adapté au théâtre avant même sa publication. Eden Motel représente en cela une exception à la règle, car la pièce tirée du premier roman de Philippe Ducros, paru à l’automne 2015, a été présentée sur les planches de l’Espace Libre au printemps 2014 et a par ailleurs été accueillie avec de nombreuses réserves de la part de la critique. Or, la matière d’une pièce moyenne peut parfois offrir un bon roman, et vice versa. Duclos nous le confirme avec les histoires fort réussies du motel Eden, un endroit vaporeux aux contours imprécis où viennent échouer les naufragés de l’american way of life.
Avec une valise bourrée d’antidépresseurs, un homme sillonne les routes jusqu’à ce motel ironiquement baptisé, condensé métonymique de ce que l’Amérique comporte de plus navrant : « Mais l’Amérique n’est plus qu’un motel de passe au bord d’une autoroute […], au bout d’un cul-de-sac. L’autoroute ne mène nulle part. La tapisserie du rêve est déchirée ». Le lieu en question représente le point de chute des mal aimés et carencés de toute sorte, de quoi fournir une galerie de personnages hauts en couleur, dont deux tenanciers à la Norman Bates, un garçon albinos et un mécanicien frappé d’une dépendance aux automobiles. Deux locataires font également entrer en douce des boat people entassés dans un cargo rouillé amarré au large de nulle part. Le roman est construit sur cette tension entre la quête d’une vie meilleure et le désenchantement, ces pôles entre lesquels se joue la poursuite du rêve américain, deux côtés d’une médaille dont l’éclat a perdu de son lustre.
Sans jamais déroger à sa logique, Ducros pousse sa démonstration jusqu’au bout : ni happy end ni lueur d’espoir ne viennent égayer la sinistre procession de parias qui traverse Eden Motel. Il se montre farouchement critique envers les dérives du capitalisme et une société médicamentée à outrance qui tente de traiter sa psychose collective en se gavant de pilules, un remède aussi efficace que de soigner une hémorragie interne à l’aide d’un diachylon. La disposition formelle fragmentée, en donnant à tour de rôle la parole à chacun des personnages, renforce cette impression d’avoir affaire à une société anomique, disloquée. On ne sort donc pas indemne de cette lecture, tant la morosité de l’ensemble contamine nos dernières illusions sur la vocation édénique du continent.
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