Sans conteste le recueil de textes le plus personnel qu’ait publié Philippe Delerm à ce jour, celui où il se livre le plus. Se rendant à La Rochelle afin d’assister à une représentation de La première gorgée de bière, Philippe Delerm évoque d’abord sa venue à l’écriture, les doutes autant que les espoirs, les premiers refus des éditeurs. Des questions surgissent : pourquoi est-ce que j’écris ? Pourquoi ai-je écrit ce que j’ai écrit ? Des questions représentant, plus que les réponses, la clé de voûte des textes rassemblés ici. Comme le titre l’indique, il y est beaucoup question de l’enfance, ce paradis perdu que l’on cherche à retrouver, à recréer par le regard et l’intensité que l’on met à vivre chaque instant. « L’écriture, souligne Delerm, est toujours la traduction d’un manque, d’une fêlure, une façon de déplacer les atomes de la réalité. »
Cette lente remontée vers l’enfance entraîne par moments Delerm dans des confidences intimes sur ses relations avec ses parents, sa conjointe, ses amis, sur les rêves et les remords que les années se chargent d’accumuler et d’altérer au cours d’une vie. Ces confessions enrichissent-elles vraiment l’œuvre et notre lecture ? Contribuent-elles à ce que nous apprécions davantage la singularité et l’acuité du regard que Delerm pose sur le monde ? Singularité qui repose notamment sur le détail juste, celui qui transforme tout, comme le lui rappelait une lectrice dans son précédent recueil, Le trottoir au soleil : « J’ai perdu mon mari il y a un mois. Je relis vos livres. C’est le détail qui me permet de tenir ». L’attention portée au détail, à laquelle réfère cette lectrice endeuillée, ne suffit-elle pas à nous placer justement du côté de la littérature qui n’a pas à justifier ou à expliquer le recours à l’expérience, mais seulement à le transformer en le révélant.
D’autres textes de ce recueil explorent les croisements qui se créent entre l’écriture et le cinéma, la peinture, la musique. Delerm salue également les auteurs qui l’ont marqué (Proust, Renard, Léautaud), soulignant pour chacun d’eux l’influence qu’ils ont eue sur sa propre démarche, sans oublier ceux qui l’ont soutenu et encouragé alors que les lettres de refus s’empilaient (Jean d’Ormesson, J. M. G. Le Clézio et Alain Gerber). L’intérêt premier du présent recueil de textes demeure toutefois dans le questionnement propre à la démarche de l’écrivain : « C’est en passant par le désir de retrouver mon regard de dix ans que j’ai eu tout à coup accès à ce qui serait mon genre : le texte court, rédigé avec le pronom ‘on’ et évoquant des éclats isolés, qui pouvaient être des petites madeleines, ou des épiphanies, ou la volonté de réenchanter le quotidien ». Le meilleur de Delerm se trouve dans ce regard.