Il est des auteurs dont l’écriture colle au plus près de la vie, de ses battements comme de ses arrêts subits, de ses éblouissements. Aude appartient à ces auteurs qui maintiennent nos consciences en éveil, en alerte. Éclats de lieux, son dernier recueil de nouvelles, confirme ce choix d’écriture, cette position constamment en équilibre précaire entre l’espoir et le désespoir, la révolte et l’abandon, la vie et la mort. Le but n’est pas de rester vivant, nous rappelle l’auteure en citant Orwell en exergue, mais de rester humain.
Ces mots prennent ici tout leur sens, tout leur poids. L’avant-propos du recueil est des plus explicites à cet égard : il témoigne tout à la fois des bouleversements sociopolitiques qui ébranlent les pouvoirs en place au moment de son écriture, et des séismes personnels qui secouent la vie de l’auteure. Mais la vie est ici plus forte. « Écrire, souligne Aude, est une façon privilégiée de voyager dans toute l’étendue virtuelle de mon humanité, au-delà de mon identité circonscrite. »
Le propos du présent recueil, dont le titre est on ne peut mieux choisi, s’inscrit au plus près de ce que son auteure vit au moment de sa rédaction. Transparaissent dans ce choix la fragilité et la fragmentation douloureuse, la volonté de prendre parti pour la vie, d’élever la voix contre l’abdication, la désintégration. Le texte d’ouverture, « Les fileuses », en résume la portée : figures emblématiques féminines qui veillent sur l’humanité, les fileuses, devant la folie répétée des hommes, refusent de poursuivre leur œuvre, de tisser le fil de la vie afin que cette dernière se perpétue. Il y a dans ce texte, comme dans d’autres, une portée incantatoire, un appel à la vie en dépit de la désespérance qui en émane. Cet élan de folie destructrice, qui s’inscrit d’abord dans un monde aux contours flous, voire mythiques, trouve dans d’autres textes un écho des plus réalistes, dont « À l’abri », qui se déroule dans un camp de réfugiés. À la limite du tolérable, le lecteur devient un témoin passif de la folie humaine par l’intermédiaire de deux photographes qui veulent à la fois la dénoncer et y trouver le sens de leur démarche professionnelle. Le recueil se construit selon ces deux pôles de la violence mise à nu : celle que l’on ressent, impuissant à la combattre, et celle que l’on inflige aveuglément pour imposer sa force, sa loi. Dans les deux cas, l’écriture de Aude se déploie en courtes phrases, telle une respiration retenue et haletante. Avec elle, nous retenons notre souffle entre deux textes.
Bien que la mort, comme la folie (nombreuses sont ici les références à Virginia Woolf), soit omniprésente dans ce recueil, il n’est pas pour autant dénué d’espoir. La vie sourd constamment malgré les nombreuses tentatives de l’étouffer, au propre comme au figuré. Dans le dernier texte, prolongation du texte d’ouverture, les fileuses ne reprennent pas leur travail, mais elles acceptent d’y initier les plus jeunes afin que jamais ne soit rompu le fil de l’espoir, de la vie.