Le pavé qu’est Échec et mat n’a pas quitté la liste des best-sellers pendant des semaines : un succès sans doute attribuable à une intrigue adroitement ficelée qui touche à des questions identitaires restées jusqu’ici largement inexplorées dans la littérature américaine. Qualifié de « legal thriller », ce roman policier a pour toile de fond le milieu politico-judiciaire de Washington et l’univers des prestigieuses law schools américaines. S’y greffe une critique en règle de la bourgeoisie noire américaine.
Le juge Garland, figure des républicains conservateurs et de l’establishment noir américain, est encore plus imposant mort que vivant. Son décès ne diminue en rien l’emprise qu’il a toujours exercée sur son fils Talcott, le narrateur, qui enquêtera sans relâche sur ce père encombrant, quel que soit le prix à payer. La construction de l’enquête, complexe, se fonde sur des figures du jeu d’échecs et si l’auteur ne néglige pas de décrire le moindre personnage, fût-il secondaire, le lecteur a parfois la sensation de se perdre. Il faut donc s’accrocher, la longueur de ce roman touffu et la lenteur de cette intrigue ambitieuse n’entachant pas leur intérêt. Encore que Quand on tourne la page 671, on a encore droit à une « Note de l’auteur » par laquelle Stephen Carter instruit prudemment sa propre cause en précisant qu’Échec et mat est bel et bien une œuvre de fiction. « Ce n’est pas un roman à clé sur l’enseignement du droit ou sur le processus bizarre selon lequel on confirme (ou non) la nomination des juges à la Cour suprême, ou sur les tribulations de la classe aisée de l’Amérique noire ». Et d’ailleurs, l’université imaginaire dont il parle n’est en rien inspirée par celle de Yale où il enseigne. C’est là que résident toute la magie de l’écriture et l’intelligence du romancier.