En 1929, le député franco-ontarien Louis Mathias Auger qui semble, à 24 ans, promis à un grand avenir, viole, dans son bureau du Parlement à Ottawa, une jeune fille de son comté venue solliciter du travail. La victime, Laurence Martel, porte plainte et les procès successifs – pour viol, parjure et séduction de mineure -, très médiatisés, alimentent la une des journaux de l’Ontario et du Québec et échauffent les esprits partisans. Auger est-il jugé plus sévèrement parce qu’il est francophone ? Finalement condamné à deux ans de détention à la prison fédérale de Kingston, où les conditions sont extrêmement dures, Auger disparaît de la vie publique après sa libération. Il en est de même pour sa victime dont on n’entend plus parler.
À partir de ce fait divers véridique et documenté, l’écrivaine franco-ontarienne d’origine allemande Marguerite Andersen a élaboré une fiction en deux volets. La première partie est centrée sur la journée précédent le viol, le jour même et les semaines du procès alors que la deuxième, œuvre d’imagination, retrace les parcours parallèles de Louis Mathias Auger et de Laurence Martel, après la sentence, dans leur recherche respective de la sérénité et, pourquoi pas, du bonheur. Entre les deux parties, des lettres purement fictives de la première femme élue au Parlement canadien, Anges Macphail, qui racontent le point de vue de la députée sur l’affaire.
Si le sujet et l’idée même du roman sont intéressants, le résultat laisse le lecteur un peu sur son appétit. Andersen a en effet choisi un style quasi journalistique qui, s’il rend compte avec une certaine objectivité du drame au cœur de ces deux destins et du long cheminement qui s’ensuit, nous garde toujours en retrait, observateurs froids des difficultés et des flux d’émotions que vivent les deux personnages. On n’arrive à s’attacher vraiment ni à l’un ni à l’autre. En fait, curieusement, les seuls rares moments touchants et même poignants du roman sont liés aux tribulations d’Auger : la mort du vieux codétenu d’origine allemande, la dernière conversation avec sa mère avant l’exil d’Auger pour Montréal puis pour Biddeford, ville du Maine peuplée en bonne partie d’immigrants québécois venus travailler dans les usines de textiles, où il fait la rencontre d’une franco-américaine engagée socialement. Le mélange de réalité et de fiction, de personnages historiques et romanesques s’avère donc plus ou moins heureux et sans portée réelle autre que celle, semble-t-il, de proposer au lecteur quelques repères sur une période – 1929 à 1953 – peu connue de l’histoire canadienne et, en particulier, celle des francophones d’Ontario, du Québec et de la Nouvelle-Angleterre.