Depuis ses débuts avec Townships et Épique, William S. Messier présente l’oralité non pas comme un relent de folklore, mais comme une réalité contemporaine susceptible de décrire des espaces de créativité et de résistance qui s’inscrivent à la périphérie tout en étant connectés aux lieux étrangers. Dans Dixie, ce procédé du ressassement du connu par la connexion avec des histoires contées et des rumeurs affolantes ou loufoques trouve sa réalisation la plus aboutie et maîtrisée. En suivant, dans la région Brome-Missisquoi, la famille Huot dans ses démêlés avec un fuyard du Vermont, Messier parvient à décrire un imaginaire de la frontière, qui n’est pas sans rappeler une version festive de La trilogie des confins de Cormac McCarthy. La frontière, comme vide, clôture, mais surtout passages clandestins, où les fantômes, les conflits, les djobeurs et la bagosse circulent, est traitée dans Dixie comme parcours incessants, la plupart du temps en pick-up. C’est un lieu d’histoires et de métamorphoses. Cet extrême sud québécois, en constant contact avec les États-Unis, est renvoyé autant au Nord, par sa logique de la frange sociale, son exiguïté, sa brusquerie, qu’au Sud, avec ses distilleries, son banjo, sa musique, sa complainte joyeuse, son passé non résolu. Il y a là un grand mérite de la part de Messier : établir une analogie entre le Québec et le sud des États-Unis qui n’est ni forcée ni appuyée, tout coulant autour des tall tales que chacun reprend en scansion, du banjo découvert qui agit comme artéfact, mémoire, prothèse et refuge.
La galerie de portraits présentés dans Dixie révèle une véritable multiplicité des formes d’existence de cette frontière québécoise. En amalgamant les générations, en insistant sur la formation des rumeurs, surtout celles à propos de l’étranger par excellence, le fuyard, et du familier le plus intime, l’ancêtre, membre d’un trio de renégats, l’auteur d’Épique construit un récit polyphonique, où tout un chacun redécouvre son agentivité, sa capacité à modeler son monde par la parole, par la musique, par les refuges qu’on se crée, par les rituels, comme celui de l’inauguration des bécosses dans les champs. Le jeune fils des Huot, Gervais, est atteint d’une maladie qui le confine au sommeil en cas de stress, mais il n’en demeure pas moins actif et capable de participer, du haut de ses sept ans, à la mythologie quotidienne. La prose de Messier est souple, elle accueille autant un vocabulaire précis de la routine ouvrière qu’un parler populaire, jamais présenté pour sa truculence, mais pour son originalité, sa cadence, sa précision. Il en résulte un roman vif, drôle, profond, chargé d’histoires, de tentatives de transmission, d’un goût pour l’ouverture et le rituel comme on en trouve peu en littérature québécoise. Les lieux sont riches, chargés, portés par des descriptions jamais surplombantes, décollées de la terre, mais toujours en mesure de brosser en quelques lignes la trame d’une continuité. Enfin, il faut souligner que le roman est accompagné de gravures sur bois qui s’intègrent parfaitement à la forme du récit ; témoignages réactualisés d’une pratique ancienne et encore artisanalement significative, ces dessins proposent des images qui rectifient notre lecture des descriptions, en nous forçant à revoir des détails, à cerner comment est rendue la fébrilité de l’écriture.