Dans une préface intelligente et généreuse, l’éditeur Jacques Julliard demande, à propos de Jean d’Ormesson, « comment être à la fois un éditorialiste de droite et un intellectuel de gauche ». À la lecture d’un choix de chroniques courant de 1981 à nos jours, on éprouve quelque peine à percevoir le paradoxe dont parle Julliard : d’Ormesson est assurément un éditorialiste de droite, mais s’il y a en lui une tendance gauchisante, ce serait peut-être dans ses romans qu’on la détecterait, pas dans ses chroniques du Figaro. Si elle existe.
Concédons que les réflexes du chroniqueur sont sains. Avec l’élégance constante qui le caractérise, d’Ormesson s’inscrit en faux contre toutes les formes de violence, de dégradation, d’empiètement, d’intimidation. Il n’est cependant pas dit qu’il les décèle aussi aisément dans tous les contextes. Il a établi une fois pour toutes que de Moscou rien de bon ne peut sortir, alors qu’il manque de verve si, par impossible, l’injustice se loge à l’enseigne du libéralisme économique. Dans la quotidienneté dont il transmet l’écho dans Le Figaro, le règne de quatorze ans du socialiste Mitterrand enchaîne les erreurs et les dissimulations, tandis que de Gaulle, à des années de distance, symbolise toujours ce que la France peut rêver de plus opportun et de plus civilisé. Parce que socialiste, Mitterrand est un menteur qui mérite tous les blâmes, mais le pardon est de mise pour ceux qui ont répandu le mythe des armes de destruction massive de Saddam Hussein. Si, malgré l’optimisme que lui prêche d’Ormesson, le moral des Français tombe en berne, le chroniqueur se console à la pensée que le merveilleux Sarkozy s’approche du pouvoir ou l’exerce. Pour évoquer la gauche en prêtant l’oreille à d’Ormesson, il faut laisser le champ libre à l’amitié.
Des certitudes mal fondées et des empressements imprudents émaillent d’ailleurs l’analyse politique du chroniqueur. Il admire Bernard Kouchner et son devoir d’ingérence, ce qui peut parfois se défendre, mais il néglige de baliser ce pari sur l’arbitraire. Lorsque se font tangibles les effets pervers de l’intervention militaire en Bosnie-Herzégovine, d’Ormesson glisse de la bénédiction initiale à l’ambivalence : ni l’action ni le silence n’obtiennent son aval. Il met sur le même pied l’Europe, l’OTAN, l’ONU, comme si les trois jouissaient de la même légitimité. Il impute la violence de 1997 à trois sources : « le marxisme, le nationalisme, l’islam », sans mentionner une seule fois le commerce des armes.
L’admirateur que je suis des romans d’Ormesson demeure songeur devant son journalisme.
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