Le monde et l’écriture de Melanie Klein se déploient sous le mode de la violence, de la désagrégation, de la peur et de la lutte impitoyable du couple mère-enfant. Rien de bien rassurant. On se croirait parfois emprisonné sous le soleil noir de la mélancolie. Pourtant, les choses ne sont pas aussi simples. Quelque troublante qu’ait pu être la vision de la grande psychanalyste britannique, elle n’en permit pas moins d’élaborer une approche de l’analyse des enfants qui conduisit à la thèse selon laquelle les stades du développement libidinal, loin de s’organiser selon une simple séquence chronologique, se recouvrent et que l’Sdipe prend place dès les stades les plus archaïques (oral et anal) de l’enfant. En résumant un peu brutalement, on pourrait dire que l’existence est violence, l’agressivité de l’enfant au sein illustrant la majesté de la pulsion de mort.
De quoi inquiéter les belles âmes qui cherchent encore à réduire l’angoisse et la massivité des défenses qu’elle oblige à construire pour vivre. Les deux textes republiés ici dans la collection de poche de Payot (et tirés des Essais de psychanalyse) sont d’une importance capitale dans la pensée de Klein. Le premier : « Contribution à l’étude de la psychogenèse des états dépressifs » (1934), propose une théorie de la position dépressive par rapport à la paranoïa et à la manie. On y voit à l’œuvre la nécessaire et absolue césure entre la réalité matérielle et la réalité psychique, césure fondant la démarche analytique. Nous voici à mille lieues de la psychologie de l’attachement, d’où est rayée la dimension de l’inconscient. Le second texte : « Le deuil et ses rapports avec les états maniaco-dépressifs » (1938), cherche à expliquer la relation entre le deuil normal et certains processus dépressifs de la toute première enfance. Ce n’est donc pas la dépression telle qu’on l’entend aujourd’hui qui est ici en jeu, mais les conflits du Moi aux prises avec ses pulsions agressives.
Bref, ce livre dense qui s’adresse aux spécialistes nous rappelle quelques magnifiques intuitions de Melanie Klein, comme celle qui éclaire, dans le premier texte du volume, le fait que la position dépressive et les souffrances terribles qui y sont liées propulsent la personne dans la paranoïa. Je crois intimement qu’une attention soutenue aux angoisses des enfants, proches sur le plan des contenus aux psychoses adultes, nous aide à comprendre la folie de l’espèce humaine. Sa raison aussi.