La démarche de l’auteur me paraît remarquable, tant par sa rigueur que par sa cohérence. La mesure impeccable de son phrasé libère une pensée qu’on prend plaisir à saisir, quand bien même sa gravité préoccupe.
La fantaisie dont Mathieu Simoneau fait preuve çà et là n’a rien de gratuit ; l’idée de jouer avec les mots ne la suscite pas. Ici, tout est sérieux. Bien que le vers soit quasi transparent, des mots y font énigme. Lorsque le poète fait vibrer les cordes de sa lyre, il faut laisser à la lecture un certain temps de silence afin que puisse se faire entendre pleinement leur résonance.
À la fin de son recueil, le poète fera une confession, une certaine profession de foi. Elle aura trait à sa poétique. Il avouera ne pas chercher à émouvoir. Il écrit : « je chasse toute intention / de placer la flèche au cœur de la cible // l’œil à atteindre est invisible / et le sens du vent / trop subtil / pour être pris par la bride ». Ainsi en va-t‑il du sens des poèmes, trop subtil pour qu’on s’acharne à l’enfermer dans les limites étroites de l’interprétation.
Et si, plutôt que de gloser à leur sujet, on se bornait à mettre en évidence la beauté de ces poèmes ? Assurément, cela semblerait court. Or, s’ils sont beaux, pourquoi mettre leur luminosité sous le boisseau ? J’en citerais volontiers des dizaines. Du reste, leur beauté formelle est indissociable de leur sens, dont celui qui préside à l’élaboration et à la poursuite de tout ce travail d’écriture. La démarche du poète est au cœur de son œuvre. Elle en assure les battements.
Mais que fait donc Simoneau à travers ce recueil ? Bien malin qui répondra qu’il s’adonne à faire « des longueurs dans le crépuscule ». Contrairement à Baudelaire qui, dans « Le soleil », se disant en quête de rimes, s’exerce seul à sa « fantasque escrime », Simoneau entreprend avec ses poèmes de traverser l’espace, non pour s’exercer, mais bien parce que justement il a pour but d’atteindre le soleil au bout de l’horizon.
Le soleil. Voilà le maître-mot ici. Dans « Le coucher du soleil romantique », Baudelaire écrit qu’il « poursui[t] en vain le Dieu qui se retire ». Qu’en est-il chez Simoneau ? Son recueil fraie-t-il avec une quelconque métaphysique ? Il pose en tout cas la question du sens de la vie. L’auteur sait que ce sens n’est pas « cet enchaînement de livres / qui mangeront la poussière en leur temps » ; il se situe plutôt dans « cet élan de paix / qui me prend / quand je rêve / et reconnais / le nid que le soleil s’est fait en moi ».
Dans cet excellent recueil, le poète « noie en pensée le monde / sous une verdure inextricable ». Il est étonnant de voir à quel point l’homme s’y trouve ramené à des proportions pour ainsi dire naturelles. Les erreurs consécutives à son règne sont évoquées : « pourquoi le monde / n’est-il qu’une tôle froissée / qui perdure à mon oreille ». Au rang des espèces, l’homme se retrouve dans une position de quasi-vassalité. Il n’est qu’une herbe parmi tant d’autres. De même qu’ici les arbres sont personnifiés, éprouvent des sentiments et profèrent des paroles, le poète se végétalise : « j’aimerais parler arbre ». Il entend « dans [s]es gènes / des brassages de fougères ». C’est là une manière de correspondance suprême, de parfaite adéquation entre les différents univers où se meuvent « une femme verdoyante » et un homme né « d’un arbre qui avait tout vu ».