Paul Cédrat est dans la salle où un jeune quatuor s’apprête à créer sa dernière œuvre. Il comprend très rapidement que le public, qui s’attend à une alternance de mouvements lents et plus rapides, n’apprécie pas le rythme égal et lent de son quatuor à cordes. Hués, les instrumentistes renoncent à aller jusqu’au bout de l’œuvre. Comment le compositeur se sent-il ? Il ne songe qu’à une chose, remonter le moral des musiciens et leur dire combien il est désolé de les avoir placés dans une telle situation. Leur dire aussi de retourner sur scène pour jouer le Beethoven prévu au programme de façon à en faire ressortir toute la modernité : « Il n’y a pas de peine perdue », leur dit-il. Et la suite du concert est un triomphe pour la jeune formation musicale.
Cet homme, on le comprend rapidement, n’en a plus que pour quelques jours à vivre. Le moindre geste lui demande un effort que traduit admirablement l’écriture de Christian Gailly, une enfilade de très courtes phrases, souvent nominales, qui suggèrent efficacement l’essoufflement de ce personnage arrivé presque au bout de ses heures. Et parce qu’il sait que l’agonie sera difficile à supporter, il a décidé, on le comprend également, de mettre fin lui-même à ses jours. Sujet d’actualité, ou plutôt à la mode, qui pourrait nous donner envie de laisser tomber le livre ? En effet. Mais quand le lecteur a saisi le projet du personnage, il est déjà happé par la façon toute particulière dont le récit déroule le temps. « Le temps qu’on lui avait promis. Alors. Un peu plus, un peu moins. On verra ça demain. Si je peux encore tenir debout. J’ai bien envie d’en profiter encore. De quoi ? D’aujourd’hui. » C’est-à-dire du confort incroyable du taxi qui le ramène chez lui, des couleurs qui brillent sur la mer, de la beauté de la jeune femme qui s’est baignée devant sa maison, de l’harmonie des objets qui composent le décor dans lequel il vit. D’une heure à l’autre, il y a toujours quelque chose à apprécier. Le retentissant échec public ne pèse pas lourd dans la balance et ses pensées, toutes occupées par l’instant présent, ne laissent place ni à la rancœur ni au mépris. Il comprend. « Ils ont, se dit-il, détesté ma musique parce qu’elle ne parlait pas d’eux, ne parlant que d’elle-même. Pas même de moi, à vrai dire, que d’elle-même. Elle ne parlait ni d’amour ni de beauté. Ni de la beauté de l’amour. Ni de l’amour de la beauté. »
Dans toute son émouvante simplicité, Dernier amour parle de tout cela. Et de la beauté de la vie. Et encore de ceci : l’amour que l’on donne est plus important que celui qu’on reçoit.