On tourne les pages du livre comme on avance à petits pas dans une galerie, comme on s’immobilise parfois devant une image déroutante ou touchante de simplicité. Véritable alliage entre les arts visuels et la poésie, ce recueil contient plus d’une quinzaine de reproductions couleur d’œuvres picturales, toutes de la main de l’artiste multidisciplinaire Jean-Sébastien Huot.
Demeures se veut d’abord un hommage à la mère : « Mère je t’étoile / Je t’ensoleille / Je te ressuscite ». De même, il propose un voyage au pays de l’enfance, au cœur d’une forme de candeur heureuse qui caractérise souvent cette période de la vie où l’esprit semble plus perméable aux détails qui l’entourent. Par touches habiles, à l’aide de contrastes efficaces, le poète arrive à brosser de petits tableaux qui nous transportent dans un univers de jeux, d’insouciance et d’imagination sans balises : « Je fais luire un halo / Au-dessus du heaume / D’un chevalier Playmobil / Il ira gravir le roc ceint de son épée / Avant de mourir ».
Des pages couleur insérées à une fréquence régulière rappellent les tablettes de papier construction qu’utilisent les enfants pour bricoler ; un souci de présentation matérielle qui s’harmonise à merveille avec l’expérience de lecture générale. Aussi la couleur joue un rôle non négligeable dans le texte. On remarque un rapport aux fleurs, à la richesse des pigments et à l’éclat des teintes dans de nombreux passages : « Parfum de pivoine au ventre / Mon cœur explose jaune / Marguerite partout marguerite ». Souvent, la couleur n’occupe pas la simple fonction d’épithète, mais parvient à traduire une émotion violente, complexe et nuancée.
Des références à la littérature et à la peinture ponctuent également le recueil, comme si certaines œuvres ayant accompagné l’auteur dans sa vie d’adulte lui permettaient de revisiter le monde perdu de ses jeunes années, de le sonder sous un nouvel éclairage et de lui attribuer une signification réactualisée : « À gauche les poèmes sous hypnose de Desnos / J’aurai traversé les roseraies d’Apollinaire / Les sommeils de Reverdy / Bu plaies reliques / Comme moelle vive d’une comptine ».
Par cette publication, le tout jeune éditeur Mains libres parvient avec brio à faire cohabiter dans un ensemble deux formes artistiques distinctes, cela sans que l’une d’elles devienne un simple support pour l’autre. Les poèmes pourraient difficilement avoir la même signification sans les pages illustrées et l’affirmation inverse serait tout aussi pertinente.