Après Bluetiful, publié à l’Écrou en 2015, Daphné B. offre à nouveau des bribes de son intimité, à grande puissance.
Presque journal, le livre se divise en cinq parties, traversées par le deuil, une quête et la mélancolie. Les titres des sections évoquent l’ailleurs autant que le quotidien. D’entrée de jeu, les portes sont grandes ouvertes sur une intériorité exaltée, à la recherche de sens, souvent triste et vidée. À travers les segments, la poète se nomme, se dénomme, se renomme : Cheyenne, comme ceux qui parlent rouge, comme la vie qui pulse. Puis, un blanc. Le nom de famille est retranché. Nombreux sont les motifs qui reviennent, tout au long du livre : termites et vers pour l’érosion des sentiments, entonnoir pour la folie, globe en verre avec de la neige dedans comme illusion préservée, chute sur la glace, autant d’images pour dresser les murs d’un édifice beau et inquiétant.
La mort est tout près ; le désir de mourir et, paradoxalement, la peur de disparaître. Delete. Tout effacer et renaître à chaque instant. Tout nommer : le corps, l’organique, les petites et grandes laideurs du quotidien, la douleur, les amours qui s’étirent, qui se brisent, qui se réparent, le temps de réaliser qu’elles sont vouées à la mort et qu’on n’aurait jamais dû les recoller. Puis, tout balancer.
« On ne rêve d’une chose que parce qu’on ne la connaît pas. » La poète donne l’impression de ne plus rêver, comme si toutes les illusions étaient tombées. Il y a des frontières à franchir, celles de soi, de l’amour, du souvenir. À chaque page transpire le désir d’authenticité, le besoin d’être vrai, de se défaire des artifices. Le talent de Daphné B. est de soulever couche après couche, de vie, de secrets, de rêves, pour en venir à la moelle. Et l’on suit l’esprit de l’auteure à travers voyages, quête identitaire, par-delà ce qu’elle révèle de ses envies, de ses rapports avec les hommes et avec la figure maternelle.
Rivalité, déception, mépris, amour, le lien avec la mère est une corde raide sur laquelle il apparaît difficile, voire impossible d’avancer. Les passages concernant la mère sont parmi les plus durs du livre : « Je repense à ses claques, à ses insultes, à ses menaces et à son globe en verre. Je l’agite. C’est encore Noël ».
On s’accroche malgré tout, dans Delete. La poète superpose les moments, les rejoue, les répète, partagée entre la nécessité de les laisser disparaître et le besoin de les retenir. Le suicide est évoqué, explicitement ; un projecteur éblouissant est braqué sur ce qui blesse et c’est l’écriture qui fait figure de salvatrice. La poésie de Daphné B. se trouve juste là, dans ces grands yeux qui ne clignent pas, qui prennent tout, qui transcendent. « Phosphorescente, l’histoire continue d’émettre sa lumière, même dans l’obscurité, quand tout est fini. »
L’auteure écrit, à la toute fin du recueil : « Il me reste la beauté de ce qui tombe ». C’est bien cette émotion qui imprègne le lecteur au moment de refermer le livre. Malgré la tristesse, la dépression, les amours déçues, les larmes et la lourdeur, il se dégage du livre une grande beauté, celle qui provient d’un mouvement de nécessité absolue.
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