Sur les origines du blues, il existait déjà quelques références comme Nothing but the blues. Le blues : sa musique et ses musiciens de Lawrence Cohn (Éditions Abbeville, 1994) et Le monde du Blues (10/18, 2002) du Britannique Paul Oliver, sans oublier les excellentes études de Gérard Herzhaft et Robert Salé.
Enfin traduite en français, cette histoire exhaustive de la musique africaine-américaine est parue initialement en 1982. Son contenu n’a pas pris une ride, car, musicalement, le blues authentique n’a pas beaucoup évolué depuis la fin des années 1970, et les œuvres les plus significatives de la musique africaine-américaine datent pour la plupart de la première moitié du XXe siècle. Cependant, beaucoup de rééditions facilitent notre accès à des enregistrements d’autrefois, souvent réalisés par des compagnies indépendantes dont les disques n’avaient au départ qu’un rayonnement régional.
Robert Palmer (1945-1997) raconte les origines du blues comme si c’était un roman ; non pas une histoire romancée, mais bien un essai vivant et clair, avec beaucoup d’illustrations, de références discographiques, de noms d’artistes oubliés mais ayant le statut de légendes. Le blues est né dans le sud profond (d’où le « Deep Blues »), au Mississippi, pour ensuite migrer vers le nord, entre autres dans la ville industrielle de Chicago ; c’est le parcours de plusieurs grands bluesmen comme Howlin’ Wolf et Jimmy Reed. Robert Palmer explique la reconnaissance du blues en Grande-Bretagne, à la fin des années 1950, lorsque le public londonien découvrit le fougueux Muddy Waters jouant de sa guitare électrique sur un ampli poussé au maximum ; l’auditoire croyant avoir affaire à un autre folkloriste du style Big Bill Broonzy ou Leadbelly découvrait au contraire un blues rauque et brutal, dans un langage cru et direct, proche de l’agression verbale : « I’m gonna mess with you », chantait crument Muddy Waters dans un hymne machiste, « I’m Your Hoochie Coochie Man ». Pour finir, Robert Palmer constate le déclin du blues sur la scène newyorkaise de 1980, avec la disparition progressive des pionniers, qui, par définition ne peuvent être remplacés. L’épilogue décrit comment le blues a été dénaturé par le rock venu d’Angleterre, le boogie et autres mutations ; le blues allait désormais désigner un tout autre genre musical, loin de ses racines.
Olivier Borre et Dario Rudy ne se contentent pas de traduire le texte et les paroles ambiguës de beaucoup d’extraits de chansons ; ils ajoutent une multitude de notes infrapaginales pour contextualiser le double sens des paroles et la dure réalité afro-américaine. Leur traduction très soignée rehausse le texte originel : « [‘Son’] Sims avait un jeu brusque et approximatif : sur son instrument, dont le son trahissait une fabrication maison, il produisait des lignes rythmiques incisives et un timbre râpeux, dépourvu de tout sentimentalisme ». Sans égaler l’exhaustivité de l’Encyclopedia of the Blues en deux volumes sous la direction d’Edward M. Komara (Routledge, 2006), ce Deep Blues de Robert Palmer synthétise admirablement bien les débuts de la grande musique africaine-américaine ; on reprocherait cependant à l’éditeur d’avoir conservé inutilement son titre en anglais, ce qui crée une confusion entre les deux éditions.