Après Utopia (2011), un roman futuriste dont l’action se déroule à Montréal, et Légendes de l’archipel du Milieu (2016), un recueil de nouvelles inspirées de son séjour aux Îles-de-la-Madeleine, Éric Kennedy aborde la poésie en changeant radicalement de genre et de ton.
Ici, ce n’est ni l’imaginaire ni la fantaisie, mais une vision plus noire que rose de la société actuelle. Le recueil balance entre les extrêmes annoncés dans sa dédicace : « Aux personnes qui voient toujours la lumière et à celles qui se font un plaisir de l’éteindre ». Deux attitudes contraires, deux façons de voir le monde. Le poète se faufilera entre les deux, tout en nous faisant part de ses angoisses et de ses interrogations.
« La chance selon Drake » ouvre le recueil par une formule algébrique complexe que le poète détaille et qui se résout par : « chaque année / il y a environ une chance sur 1 500 / que quelqu’un / puisse changer le monde ». Reste à savoir si cette possibilité est réelle, et c’est ce qu’analyse le recueil en cinq courtes suites.
« Fusion » traite de l’amour comme refuge et unique espoir de survie, mais peut-être vain : « prends-moi et serre-moi / avant que les fleurs sans lendemain / ne recouvrent nos pupilles ». « Fission » porte sur la perte de l’être aimé. L’amour est mort, le regard s’assombrit.
« Explosion » quitte le registre de l’intime pour introduire une vision pessimiste de la société, dont l’amour est absent. Demeure une société sans espoir : « nous consommons / nous sommes cons / nous tonnons par procuration / nous promettons / en grandes liquidations ».
« Implosion » trace un portrait sombre et sans appel de la société. Rien ne se tient, tout implose, nous sommes « létalement humains ». Il ne nous reste qu’à espérer que « nos dépouilles rendront service / en donnant nos os / aux suivants / enfin mourir sera utile ».
« Spectrométrie de masse » interroge l’état des lieux : ne sommes-nous plus que des spectres ou pouvons-nous être dans un « champ d’action » si on choisit un autre sens pour spectre ? Le poète est ambigu, mais il cerne ce qu’il pense être le problème : « notre pire erreur / n’aura pas été l’exploitation / ou l’appropriation / mais plutôt le moment / où nous avons édifié des murs / pour y peindre nos nombrils ».
Le recueil se clôt sur la reprise du constat émis au début : « une seule chance sur mille-cinq-cents / une chance / que tu changes le monde ».
Éric Kennedy nous entraîne dans une réflexion riche sur l’état du monde dans des poèmes sans fioriture mais percutants, qui nous incitent à nous demander si nous sommes cette personne sur mille cinq cents ou si nous ne sommes que des cons.