L’œuvre d’Anne Hébert, considérée par d’aucuns comme un monument de la littérature québécoise, n’a toutefois pas de tout temps fait l’unanimité. Les féministes radicales des années 1970, notamment, ont rejeté la production de l’auteure exilée, refusant d’entériner la position d’objet dans laquelle ses héroïnes semblaient souvent placées. Dans De mémoire de femmes, Anne Ancrenat entend montrer que le projet d’Anne Hébert tendait, avant la lettre, à un féminisme plus modéré. L’œuvre tente de dire la mémoire archaïque au féminin et dénonce en fait ladite position d’objet à laquelle est reléguée la femme dans le discours officiel. Anne Hébert a habitué son lectorat fidèle à la mise en place de lieux où s’opère une plongée vers un temps antérieur à l’avènement du temps linéaire irréversible. « Le tragique hébertien se situe justement dans cette tension entre le désir de vivre le temps absolu, qui symbolise l’inimaginable de ‘cette vie ailleurs’, et la réalité du temps individuel dont la fragmentation renvoie à l’effet de dépossession du sujet. »
Anne Ancrenat explore, à l’aide de la narratologie et de la méthode de critique thématique, la « mémoire des origines » telle qu’elle se trouve dans l’œuvre d’Anne Hébert. Il appert que des Chambres de bois jusqu’à L’enfant chargé de songes, une instance narrative neutre est mise en scène, instance qui, laissant place à l’intrusion constante de l’auteure impliquée, tend à élargir l’horizon de conscience des personnages et à dire le refoulé féminin. Redonnant pouvoir de parole aux « ‘oubliées’ de l’histoire des femmes », l’écrivaine construit des œuvres où pointe la « thématique […] de la méconnaissance de la femme comme sujet porteur d’une parole pouvant percer le discours hégémonique et qui se loge là où elle n’était pas prévisible ».
Fruit apparent d’une démarche académique (ce que révèlent quelques redites et l’utilisation de procédés d’argumentation classiques) menée rondement, l’ouvrage d’Anne Ancrenat permet de comprendre à quel point les romans d’Anne Hébert marquent une époque et ouvrent la voie à une parole féminine.