L’éditeur serait-il en voie de devenir le spécialiste du haïku au pays ? Ce nouveau recueil de haïkus écrits à Québec pourrait nous le laisser croire. Et ce n’est ni le premier, ni le dernier.
Le goût des Québécois pour le japonisme ne se dément pas, comme le confirme cette anthologie d’auteurs contemporains rompus au haïku. En tout, 178 haïkus élaborés par 28 auteurs composent ce recueil. Pour aujourd’hui, l’initiation à ce genre sera brève et inévitablement incomplète : habituellement, le haïku est un poème très imagé, sans rimes et sans majuscules (sauf pour les noms propres) qui se résume en trois vers libres structurés en cinq, sept et cinq syllabes. Mais cette définition semblera insuffisante, car on doit considérer à la fois la sonorité des mots choisis, la place de la césure, les nombreuses sous-catégories, mais aussi – sur le plan narratif – le caractère polysémique de chaque ligne, combinant des mots simples mais évocateurs. En observant les haïkus de ce recueil, certaines constantes peuvent caractériser leur structure. Le premier vers est plutôt vague, suggestif, évanescent ; le deuxième indique une direction ou apporte une caractérisation ; mais le troisième marque une bifurcation, un imprévu, un retournement de situation. Parmi les thèmes privilégiés, on reconnaît les saisons, la nature, les impressions fuyantes, les visions fugitives. Mais laissons parler quelques haïkus particulièrement éloquents, conçus dans des styles variés :
Jean Deronzier introduit l’harmonie, puis un contraste étonnant : « ce cher souvenir / si beau chez l’artisan / encombrant chez moi ».
Bernard Duchesne ajoute à chaque vers un degré d’émerveillement : « sous les dentelles / un sachet de lavande / soudain l’été ».
André Vézina combine deux vers imagés pour ensuite conclure dans une autre direction : « nuée d’oiseaux / dans l’amélanchier en fruits / adieu confitures ».
La poésie minimaliste de ces haïkus permet d’apprécier à petites doses ces évocations plurielles, volontiers ambiguës, quelquefois ancrées (et pourquoi pas : encrées ?) dans le contexte québécois, en incluant au passage des québécismes. Ajoutons que ces lectures sont souvent gaies ou émerveillées, rarement tristes ou tragiques. On pourrait bien sûr s’amuser à vérifier si chaque haïku respecte à la lettre tous les codes et les règles très strictes de construction, conformément à la tradition venue du Japon, puis adaptée pour la francophonie. D’autres lecteurs les laisseront mûrir lentement, comme des méditations, en acceptant les exceptions et les divergences. Les haïkus sont un peu comme des bonsaïs : il faut leur laisser le temps de se révéler et de s’épanouir.