Il n’est pas fréquent qu’un journaliste québécois, travaillant au surplus pour une agence de presse étrangère (ici l’Agence France-Presse, AFP), ponde un livre de correspondant étranger dans un des pays les plus difficiles du monde. En effet, les passionnés lisent en général des ouvrages de journalistes britanniques, français ou américains, qui sont quasiment les seuls à nous donner accès à l’actualité des points chauds de la planète.
On ouvre donc le livre de Guillaume Lavallée avec le plus grand intérêt, et le résultat ne déçoit pas, au contraire, et ce, d’autant que la réalité fort complexe de ce pays mérite mieux en effet que de courts reportages. Correspondant de l’AFP au Soudan, l’auteur a été aux premières loges d’un des grands bouleversements des dernières années, soit l’accession en 2011 du Sud-Soudan à l’indépendance, devenant ainsi le 54e État du continent africain.
Le livre nous permet donc de mieux comprendre pourquoi le sud du pays a si massivement dit oui à l’indépendance, mais aussi de plonger dans le conflit sanglant du Darfour, et dans les réalités byzantines de ce vaste pays : « […] la tragédie n’est pas le divorce, mais les deux siècles passés et peut-être ceux à venir. Le paradoxe, c’est la sincère hospitalité des Soudanais, leur gentillesse, leur grandeur d’âme : comment des gens aussi avenants ont-ils pu s’entretuer ? »
C’est que le Soudan n’a jamais pu établir un minimum de relations fonctionnelles entre sa composante arabophone, musulmane, ancrée à Khartoum, et celle plus enracinée dans l’Afrique, majoritairement chrétienne : « Les Sudistes ont été piétinés, mésestimés, écrasés, négligés et se sont toujours relevés, dignes ».
Quant au Darfour, à l’ouest, composé à moitié de populations arabes, et de diverses autres ethnies, il a été victime d’une capitale, Khartoum, dirigée ces dernières années par un islamiste radical (Omar el-Béchir) reluquant la région pour son pétrole, alors que ce territoire avait autrefois été complètement oublié et délaissé, voire méprisé.
Et l’auteur de conclure, avec justesse : « Depuis l’indépendance du pays, les rébellions […] ont toutes pris les armes contre le pouvoir central de Khartoum en réclamant la même chose : un meilleur partage des richesses, la fin de la marginalisation par rapport au pouvoir central. L’opposition entre Khartoum, la ‘ville-État’, et les périphéries constitue la trame de fond, le squelette, de tous les conflits récents éprouvés par ce colosse d’Afrique ».