Enfin des nouvelles de Jacques Brault. La pure joie : Jacques Brault qui, Dans la nuit du poème, fait signe. Comme un réverbère dans la brume, un phare dans le lointain. Une voix. Une main.
Comme toujours, on retrouve dans ce dernier livre de Brault ce qui caractérise si bien toute son œuvre : cette passion de la question – passion qui est la pensée. Aussi ce bref texte, Dans la nuit du poème, est-il en lui-même question. Question de vie, de mort, de prose et de vers, de dire et de souffle. Autrement dit : question de poésie. Qu’est-ce qu’un poème ? Et, surtout, d’où vient sa dimension « poétique » ? Avec son habituelle humilité, avec son non moins habituel acharnement, le poète avance lentement, avance des idées, des propositions, que les suivantes viennent parfois compléter, parfois carrément contredire. La parole tourne sur elle-même, illustrant ainsi à merveille ce que la prose peut contenir de poésie lorsqu’elle se met en quête de quelque chose, s’offrant tout entière au « mystère poétique », à cette béance qui ne saurait se laisser saisir autrement que dans son approche (qui est aussi sa fuite) ; bref, à cet « autre du langage humain », qui est blessure dans la voix, coupure sur la langue.
Comme Brault l’a toujours fait, il convoque ici, dans sa nuit, d’autres œuvres, d’autres paroles, et dialogue avec elles, les faisant aussi dialoguer entre elles. De Homère à Paulhan, de Rilke à Valéry, d’Aragon à Blanchot, le texte se laisse porter par une sorte d’obscurité originelle, celle-là même qui hante tout poème, en soutient les fulgurances, en garde même les aubes les plus franches. Et, comme dans tous les essais de ces auteurs, Brault, ici encore, par le seul respect qu’il porte à la parole des autres, à leur pensée, ne peut que nous donner le goût d’aller à leur rencontre, de les lire ou de les relire, de partager leur nuit, de mesurer notre pouls à la démesure du leur.
Et même si, dès le départ, on devine que la question demeurera sans réponse – les questions dignes de cette appellation ne le demeurent-elles pas d’ailleurs toutes ? –, on sait néanmoins que, de l’intimité de sa nuit, le poème, par la voix de celui qu’il hante, viendra nous rappeler à notre propre béance : « Ce monde qu’il me rend habitable en image n’a de sens que figuré ou comme figura, feinte et fiction, un tout et un rien, exil et patrie ». D’ailleurs, les dernières pages du texte, consacrées au rythme, sont belles et justes à en couper le souffle et, de là, mystérieusement vouées à nous redonner quelque chose comme un peu d’air.