Fin connaisseur du monde culturel français et analyste vigilant de ses complaisances comme de ses fièvres, l’auteur distingue utilement crise et échec. Autant la crise peut s’avérer bénéfique, autant les interventions irréfléchies ou mal ciblées enlisent un pays dans l’inculture au lieu de l’en tirer. Exemples d’interventions amortissant les crises et conduisant à l’échec ? Elles portent, d’après Antoine de Baecque, les noms de deux fringants ministres associés à la culture : André Malraux et Jack Lang. Leurs règnes n’ont manqué ni de ressources ni d’inspiration, mais ni l’un ni l’autre n’ont su harmoniser l’ambition et le travail à la base. « 68 démontre in fine que culturellement, le ‘grand projet’ de Malraux n’était qu’un colosse d’argile, une politique de la grandeur sans véritable fondation. » De façon analogue, Lang dissocie discours et réalité. « Ce verbe lyrique nous paraît certes, avec le recul et l’ironie de l’histoire, quelque peu forcé et plutôt ridicule. Mais il faut songer à tout le mal qu’il a fait, quand ce vitalisme culturel s’est métamorphosé au cours des années 80 en une langue de bois parlée le plus naturellement du monde par les milieux de la culture officielle. » Ronronnement n’est pas action.
L’auteur, citant l’historien Philippe Poirrier, circonscrit en clinicien la nature de la confusion : « […] l’abandon progressif de la démocratisation culturelle (la culture pour tous) au profit de la démocratie culturelle (la culture de tous et par tous) ». De fait, rendre la culture accessible à tous, ce n’est pas présumer que tous maîtrisent la culture et que tout se vaut. Aux prises avec la même ambiguïté, le Québec trouverait là matière à réflexion, puis à redressement…
Mieux vaut donc la crise qui secoue la culture que le calme stérile de la « communication effrénée ». Mieux vaut un Mitterrand qui, note de Baecque, a une plume que des budgets qui ne savent où aller. Mieux vaut un Jean Vilar que mai 68 traite avec cruauté qu’un gouvernement incapable d’une « ambitieuse politique de l’art et de la culture à l’école ». Y a-t-il espoir du côté de Sarkozy ? Certes pas, dit de Baecque. « La France a élu comme président un homme profondément méfiant vis-à-vis de la culture, peu cultivé lui-même et fier de l’être, cultivant davantage les valeurs de l’ascension sociale, du travail, de l’effort, du nationalisme, de l’initiative individuelle, affichant les signes extérieurs d’un clinquant existentiel et d’une réussite matérielle qui ne peuvent que choquer tout véritable homme de culture. » Portrait qu’il est tentant de multiplier.