On prétend que les bouquins qui se vendent le plus en librairie appartiennent à trois catégories : les livres de cuisine, la littérature destinée à la jeunesse et les polars. On s’en doutait déjà, la planète livre raffolerait ainsi donc des énigmes policières et des efforts de ratiocination d’enquêteurs qui en ont vu d’autres. À ce chapitre, le lecteur québécois ne se distingue pas des autres en matière de préférences littéraires. Or s’il se vend chez nous bon nombre d’exemplaires des Connelly, Mankell, Larsson, Lehane, qu’en est-il du succès commercial de notre filière noire locale ? Il semble dans les faits que l’on connaisse plutôt mal nos propres spécialistes du genre, tant et si bien qu’un travail d’éducation du lectorat est souhaitable, qu’une pertinente et utile introduction à nos auteurs de polars s’impose.
Sous la direction de Richard Migneault, lui-même un passionné de littérature policière, seize écrivains d’ici ont donc été réunis face au défi commun de faire de la librairie une scène de crime. Que l’on soit néophyte ou exégète en la matière, Crimes à la librairie atteint la cible : on est aspiré par le contenu captivant de ces récits franchement étonnants, rarement prévisibles. Des talents à découvrir y côtoient des auteurs qui ont moins besoin de présentation et nul ne souffre de la comparaison souvent inévitable dans ce genre de recueil. Crimes à la librairie s’ouvre d’ailleurs avec un texte paranoïaque de Patrick Senécal ayant pour thème la légitimité de la littérature noire, souvent boudée par l’élite universitaire. Se succèdent ensuite des textes de valeur sûre comme ceux de Martine Latulippe, Martin Michaud, Benoît Bouthillette, Chrystine Brouillet, Robert Soulières, André Jacques, Richard Sainte-Marie… L’espace limité imparti pour rendre compte de chaque texte ne nous empêchera pas de souligner le brio d’une auteure moins connue, Geneviève Lefebvre, dont la nouvelle clôt le recueil de manière diablement efficace.
On dit donc que nos auteurs restent inconnus de leur propre public, plus curieux de lire les récits des étrangers que les éditeurs français lui offrent en traduction. Il est probable que la lecture de ces seize textes, tous convaincants, dépasse largement le mandat que s’était donné il y a quelques années Richard Migneault, soit de faire connaître les auteurs de polars d’ici ; mieux encore, la grande qualité des nouvelles réunies dans ce recueil nous les fait davantage apprécier. À preuve, on a envie d’aller explorer plus loin leur univers macabre.