« Ma vie en 5 livres », « 25 romans qui ont défini le Québec » ou « Autrices oubliées de l’histoire littéraire », notamment, les palmarès anthologiques d’œuvres et d’auteurs ne manquent pas, ni les recueils de témoignages et de souvenirs de lecteurs et de lectrices.
Généralement, ce genre d’ouvrage vise autant à rendre hommage à des auteurs qu’à souligner l’influence de leurs œuvres. Il serait sans doute réducteur de subsumer sans nuances sous cette pratique l’essai fort original de Thomas Mainguy. Crépuscules admirables nous est présenté comme un recueil de « nécrologies » réunissant des « textes qui traitent d’écrivains disparus ». Dans l’ordre : Marie Uguay, Louis-René des Forêts, Jean Follain, Louis Hémon, Winfried Georg Maximilian Sebald, Arthur Buies, Robert Walser, Catherine Pozzi, Stefan Zweig, Marguerite Yourcenar, Primo Levi et Jules Supervielle. À première vue, les œuvres de ces douze défunts, au-delà du fait d’avoir été longuement fréquentées par l’essayiste, semblent avoir bien peu de choses en commun. Mais Mainguy réussit à tisser un lien entre la fin crépusculaire de ces auteurs, qu’elle soit naturelle, accidentelle ou encore choisie – et les clartés éblouissantes de lucidité et de vie qui émanent de leurs œuvres. Que l’on ne s’y trompe pas, n’est pas réactivée ici la méthode sainte-beuvienne de l’homme (ou de la femme) et l’œuvre. Il s’agit, nous dit Mainguy, « non pas d’interpréter l’œuvre à l’aide de la biographie, mais d’éclairer la vie en contemplant l’œuvre, parfois même en la rêvant un peu ». Dans la poésie de Marie Uguay, décédée prématurément d’un cancer à 26 ans, circule « un peu de cette vie que nous voulons garder, car nous devons la perdre ». Dans les vers du poète oublié Jean Follain « se trouve consignée la merveille d’exister ». La prose de Louis-René des Forêts, écrivain connu entre autres pour ses méditations sur la vieillesse et la mort, tente de « redire la puissance de la vie vécue ». En dépit de son palinodique suicide, si tant est qu’il s’agisse bien d’un suicide et non d’un accident, Primo Levi nous laisse une œuvre dans laquelle « s’affirme, d’un bout à l’autre, le courage d’affronter les défis que toute époque lance à notre humanité, c’est-à-dire à notre capacité de résister aux noirceurs qui fondent sur nous et nous assiègent ». En somme, ces textes épitaphes de Mainguy mettent en lumière de façon originale des œuvres qui dépassent « les seuils entre lesquels on se croit coincé : naître, mourir ». À cette fin, les quelques pages consacrées à chaque auteur entremêlent des souvenirs de lecture, des citations d’œuvres ou d’études, des réflexions personnelles, quelques anecdotes, etc. Le tout est rendu à l’aide d’une écriture travaillée qui prend, comme disait Montaigne, une « allure poétique, à sauts et à gambades ». En définitive, un tel ouvrage ne peut que nous rappeler à quel point les œuvres littéraires laissent en nous des traces qui confèrent à leurs auteurs disparus une forme d’immortalité.