« Charles Baudelaire, premier punk sur terre ! » écrit Jean Teulé, qui le met en scène dans un roman aux tonalités rock’n’roll. Faites lire ça à vos jeunes !
Un sacré monstre de la littérature, une « crapule de génie » : ainsi parle Auguste Poulet-Malassis, l’éditeur des Fleurs du mal, à propos du poète dont il a beaucoup pris soin. Poulet-Malassis a-t-il vraiment, précisément lâché ce mot ?
De tels mots, il y en a beaucoup dans ce roman de Teulé, une mise à la saveur du jour de la vie désordonnée de Baudelaire, un rajeunissement pleinement assumé, comme quand on joue Sophocle en complet-cravate ou qu’on nous transpose au cœur d’aujourd’hui les aventures de Roméo et Juliette. Chez Teulé, cela dit, c’est principalement la langue qui bouge et crée l’effet de distorsion faussement rétro. Dope, zob, biftons, il caille, voilà quelques-unes des expressions très datées qu’on croise au fil des pages, inexactement datées de manière très volontaire, avec beaucoup d’information sur les mœurs de l’époque, sur certains des métiers et des pratiques de ces années 1850 : l’existence du raccommodeur de porcelaine ou des chalets de nécessité, par exemple. Et sur la vie de Baudelaire, bien entendu. Voilà pour une partie du contexte et du cadre historique. La langue, la plupart du temps, mélange la gouaillerie très parisienne et le lexique jeune, et tout ça me rappelle un peu, à moi, San Antonio ou Céline, enfin, quelque chose de ce côté-là des mots et de la musique de la phrase. Le titre, déjà…
Et ça marche ? Oui, par moments j’embarque, d’autant que son Baudelaire, à Teulé, dérape et déraille sans arrêt. Par moments, en revanche, le didactisme m’agace un tout petit peu et me fait décrocher. Certaines répliques sont d’une pédagogie un brin appuyée, comme celle-ci, où son ami Asselineau explique à Baudelaire la situation de son éditeur et ami : « [Poulet-Malassis] t’aura tellement soutenu, t’aura tellement prêté d’argent que tu ne lui as jamais rendu ! Encore récemment tu lui as fait escompter je ne sais combien qu’il a dû rembourser à ta place ! ». J’avais du mal à entendre ces répliques dans la bouche de l’ami, je ne voyais que les renseignements qu’on me jetait à la face. Ailleurs, Teulé nous montre comment serait né ou aurait pu naître « L’Albatros », le célébrissime poème que la majorité des cégépiens a croisé sur sa route. D’autres poèmes sont ainsi « expliqués » ou contextualisés. C’est vrai tout ça ? Je ne sais pas : ça se vérifie toujours. S’il est vrai que Baudelaire a été forcé de s’embarquer sur un bateau pour l’Orient, il est dur d’acheter cette image du jeune homme accroupi « contre un mât du pont, front enfoui entre ses genoux qu’entourent ses deux bras » et qui « sanglote, pleinement artiste ». Au fond, ça n’est pas cette exactitude que cherche Teulé, dont le propos n’a rien d’académique. Sa vérité historique à lui se trouve tantôt dans l’esprit des anecdotes, un esprit pourtant fort éloigné de la lettre ; tantôt encore la vérité triche et prend une forme anachronique. Bref, ce qu’il faut surtout savoir ou retenir de ce Crénom, Baudelaire ! c’est que l’intention du romancier n’est pas l’exacte reconstitution du parcours baudelairien, que Teulé a choisi de romancer, de manière à la fois crédible et amusée, la vie du dandy, et de surfaire, résolument, l’image d’un Baudelaire dépensier (il l’était), socialement irresponsable (il l’était), camé (c’en fut un), dérangé (pas de mal à le croire), et d’illustrer à l’avenant le reste de ce beau dégât qu’a été une bonne partie de la vie de Baudelaire.