Depuis une trentaine d’années, l’auteur, physicien et philosophe des sciences écrit des ouvrages essentiellement autour de l’idée que la physique peut ouvrir des perspectives inédites à la pensée communément admise. C’est le même exercice de déboulonnement des idées reçues qu’il poursuit dans son dernier essai.
Déjà, dans le prologue, il annonce son programme : « Le parti pris de ce livre est […] d’associer des éléments trop souvent séparés dans les analyses : physique et philosophie, pensée et action, réalité et imagination […], infini mathématique et engagement existentiel, intelligence analytique et courage physique, [etc.] ». Tentons de donner une petite idée de ce feu d’artifice intellectuel.
En une dizaine de courts chapitres, Étienne Klein réhabilite le travail manuel trop souvent dévalorisé au regard du travail intellectuel, se demande si, en état d’apesanteur, on a toujours conscience de soi et si le hasard existe vraiment ou bien si « c’est Dieu qui se promène incognito », selon le mot d’Einstein. Ailleurs, il évoque le parcours sinueux et difficile des femmes dans le monde masculin des sciences dures ; il disserte avec la même érudition, et sans trop jargonner, sur le « mal nommé » principe d’incertitude d’Heisenberg, sur les énigmes que pose l’univers quantique ou encore sur la communication numérisée, qu’il qualifie de « nouvelle forme d’ivrognerie » pour le recours abusif et sans discernement qu’on en fait.
Au fil des pages, on croisera de grands penseurs, anciens comme modernes : Aristote, Platon, Schopenhauer ou Serres. On croisera des scientifiques tels que Galilée, Einstein, Heisenberg ou Niels Bohr. S’ajoutent à cette prestigieuse liste des personnalités moins connues, comme son contemporain Clément Rosset, philosophe du tragique, ou Jean Cavaillès, philosophe-mathématicien et par ailleurs grand résistant. Plus près de lui, il évoquera avec tendresse le souvenir de son frère Pascal, une sorte de « génie du travail manuel ».
De ce vagabondage entre des champs scientifiques et des concepts à première vue sans rapport entre eux, Klein tire la preuve de « l’inusable fécondité des mises en rapport, des confrontations pas nécessairement évidentes, comme si tout court-circuit était à la fois promoteur et produit du désir d’aller voir plus loin ou d’y regarder de plus près ». Il est vrai que ces rapprochements improbables ouvrent aux lecteurs des perspectives inédites et proposent des pistes parfois insolites pour interroger le monde qui nous entoure. De ce fait, Courts-circuits prouve une nouvelle fois qu’Étienne Klein compte parmi les meilleurs vulgarisateurs scientifiques de notre époque et est l’un des plus stimulants.